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Conférence de Gilles de Gantes

sur la “villa Simone”, 28 mai 2024.

Le texte qui suit est un essai sur l’histoire d’un hameau de Six-Fours, celui de Simon, qui s”est vu appeler ensuite “villa Simone”, hameau situé entre le hameau de Audibert et la route des Sablettes, à l’Est du hameau de Bayle.
Ce texte a servi de base à une conférence donnée le 26 mai 2024 dans le jardin de la Simone par Gilles de Gantes membre des Amis du Patrimoine de Six-Fours pour le compte du CCAS de Six-Fours et de ses activités autour des ‘Seniors dynamiques’.

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J’ai bénéficié pour le rédiger de l’aide de Gérard Delahaye qui a été le dernier co-propriétaire privé du lieu, en tant que petit-fils de Juliette Paul, dont les grands-parents avaient acquis la propriété et de Emile Gérard, son époux, qui l’avait restructuré dans les années 1930. Gérard Delahaye m’a confié nombre de souvenirs du lieu et m’a donné de renseignements qu’il tenait de Claudie Chambat, historienne de Six-Fours, qui a mené des recherches bien plus approfondies que les miennes.

Le site de la “villa “Simone”appelée autrefois “hameau Simon”.

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Le hameau est orienté Est-Ouest et regarde vers le sud et le ruisseau du Pontillot. La zone est marécageuse.

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A la source du Pontillot, un marécage contenu par des couches argileuses à la croix de Palun, au croisement de la route de la Seyne à Janas, alimenté par des eaux descendant de Lombard et Bastian, qui passent par le haut Pascal. Le Pontillot qui reçoit plusieurs émissaires descendant de Pourquier par Audibert, au niveau de Simon (partiellement canalisé : le conduit est visible le long de l’accès piéton de la Simone), file ensuite plein Ouest vers la Cauquière, franchissant la traverse Bayle puis le haut de la rue République sous un ponceau (aujourd’hui disparu, il était encore visible dans les années 1980, à peu près en face de l’ancienne Poste), et longe ensuite les jardins des maison alignées côté Nord de la rue République, passe sous le cinéma, au nord de la place des Poilus avant d’arriver au Pont du Brusc, puis de filer vers la mer.

Marius Autran désigne toute la zone entre Janas et Reynier comme ‘les prés de Reynier’. D’ailleurs, une délibération municipale du 24 mai 1874 signale que le chemin entre la grande route de Toulon (correspond à l’entrée ancienne de l’agglomération dite de Reynier) et le quartier d’Isnard (bas de la Mascotte : correspond à l’ancienne propriété Boulet) est incommode du fait que le Pontillot coule au milieu : la construction d’un pont est envisagée. Un peu plus tard, au début des années 1880, lorsque différentes municipalités envisagèrent de construire un groupe scolaire, un emplacement au nord de la place neuve (place des Poilus) fut rejeté car nécessitant la construction d’un pont pour y accéder et un autre près de la Cauquière, au nord de Ferrin parce qu’il aurait fallu construire sur pilotis (ou plutôt, piliers bétonnés), ce qui augmentait considérablement le coût.

Dans les années 1940, les prés étaient inondés trois à quatre mois dans l’année. Les éleveurs y faisaient deux ou trois récoltes de foin dans l’année et amenaient leurs bêtes  une fois les prés fauchés. André Valérien se souvient qu’il allait acheter le lait au hameau de Mouton (ma traduction, il dit du côté de Lidl) depuis Audibert. Pour lui, dans son souvenir, toute la zone depuis le rond-point de la 9ème DIC jusqu’aux écoles (les anciennes écoles) étaient constamment humides. Le fait a été confirmé par Gérard Delahaye et par Henri Long (entretien avec André Valérien, 2 février 2024 ; entretien avec Henri Long du 26 mai 2024. André Valérien est né vers 1938, ses parents résidaient à Audibert depuis les années 1920 ; Henri Long est né en 1935 et sa famille résidait à Simon puis à Audibert jusqu’aux années 1960). Un stade existait d’ailleurs entre le bas du chemin de Pascal et l’actuel bassin de rétention et, dans les années 1970 que j’ai moi-même connues, les prés servaient à l’occasion de terrain d’entraînement pour l’école de rugby : j’ai le souvenir très vif d’un sol spongieux, plutôt confortable en cas de placage.

Les hameaux de la zone ne se trouvent pas dans le lit majeur du Pontillot qui atteint 400 mètres de large environ mais sur ses rives.

Sur la rive gauche de ce lit majeur se succèdent Mouton, Guérin, Allègre, Isnard, Ferrin, Fabre, puis Reynier et Brunette… Sur la rive droite Pascal surmonté de Lombard, Simon, surmonté d’Audibert, puis Bayle et la Cauquière… Certains des hameaux les plus proches du fleuve semblent plus récents que les hameaux qui les surmontent, comme s’ils avaient été créés plus tardivement.

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Le Hameau Simon au XVIII° et XIX° siècles.

En l’état actuel des recherches, je ne remonte pas avant le cadastre de 1829, mais Claudie Chambat avait remonté au XVIIIème siècle où elle avait repéré un premier mouvement de concentration foncière.

Cadastre de 1829. Du Nord-Ouest au Sud-Est. En gras, les parcelles correspondant à la Simone
Sup. (m2)usagepropriétaire
13461460vigneEtienne Martinenq, calfat à Bayle
13442800vigneHyacinthe Denans, ménager à Audibert.
1243840vigneJoseph Laurent Verlaque, calfat er, Pourqueiron.
128416060vigneJean-Jacques Gambin, maréchal de camp, Toulon.
13452300vigneJean Sébastien Pourquier, calfat er, Ferrin
1341780vigneJean Baptiste Mabilli, calfat, Audibert.
1242590labourToussaint Martinenq, forgeron à Pascal
13273540vigneJean-Louis Gras, ménager à Reynier
1340400vigneJean-François Laugier, officier de santé à Audibert.
13391120vigneFrançois André Etienne, boulanger à Audibert
1238500labourMarie Mabilli (réside à Pascal)
13263080labourJean-Louis Gras, ménager à Reynier
13292020vigneJacques Richelme, cordonnier à Simon.
12941160vigneFrançois André Etienne, boulanger à Audibert
13251140vigneClaire Audibert, veuve Daniel, Bayle.
1304220LabourJoseph Sigalon, cultivateur, Pourquier
1305610PréJean Laurent Lombard, propriétaire, Audibert
1295890LabourJacques Richelme, cordonnier à Simon.
1297730labourJean-François Laugier, officier de santé à Audibert.
12991440PréJean Laurent Lombard, propriétaire, Audibert
1290134LabourJean-François Laugier, officier de santé à Audibert.
1291160LabourJoseph Espanet
1289480LabourFrançois Martinenq, maçon à Pascal
12851850vigneJean Joseph Fabre, gardien de marine, Audibert.
12861150préJean Laurent Lombard, propriétaire, Audibert

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La première surprise concernant l’occupation des sols dans la zone en 1829 est que, contrairement à ce qui vient d’être évoqué quant au site, les abords de Simon ne sont pas utilisés par des éleveurs mais sont un océan de vignes.

En 1829, les parcelles qui seront plus tard rassemblées dans la Simone des familles Paul/Gérard sont alors presque entièrement plantées en vignes et appartient en gros pour moitié à Jacques Richelme, un cordonnier qui résidait à Simon (2020m2 partie sud-ouest) et au boulanger François André Estienne qui réside alors à Audibert (1120m2 dans la partie nord-ouest et 1160m2 dans la partie sud-est). Le mur qui existe encore aujourd’hui correspond à la limite entre la vigne de Jacques Richelme et celle de François André Etienne.

Les parcelles qui correspondent au parking actuel, 1000 m2, sont des labours appartenant à des habitants du hameau de Pascal.

Jacques Richelme, né vers 1755, est un cordonnier originaire de la haute-vallée du Verdon et il est l’époux d’une Jaufret, originaire de la même région. Une de ses filles, Rose Anne Richelme, née à Six-Fours en 1784, épousera en 1806 un cordonnier originaire de Beauvezer. Les familles Richelme et Jauffret sont représentatives d’un courant migratoire conséquent entre les années 1750 et 1850 entre Six-Fours d’une part et la haute vallée du Verdon (Beauvezer, Thorame-Basse et Thorame-Haute surtout), courant migratoire nourri par la transhumance ovine et aussi bovine (transhumance inverse), ce qui explique le nombre important de bergers, mais aussi de laitiers et de cordonniers à Six-Fours. Jacques Richelme réside à Audibert en 1787 alors que le cadastre de 1829 le recense à Simon. Incertitudes ici : au XVIIIème siècle, Simon semble avoir été une dépendance de Audibert, peut-être une extension.

L’autre propriétaire important de Simon en 1829, le boulanger François André Estienne (suivant les actes, le patronyme est indifféremment orthographié Estienne et Etienne), est né vers 1796. Son père, Louis André Estienne, ancien marin né vers 1762, veuf de Cécile Jouglas, vit avec lui (recensement de 1841 et Acte de Décès du 14 janvier 1843). Il est premier adjoint au maire depuis au moins 1841, maire par interim début juillet 1843, puis maire entre 1858 et 1860. Son fils, Laurent Jacques Robert Estienne a été maire nommé de Six-Fours entre décembre 1869 et octobre 1870, puis de nouveau nommé entre février 1874 et octobre 1876 (époque de l’Ordre moral).  Il s’agit de notables et de notables conservateurs.

Le hameau de Simon compte 24 habitants en 7 foyers en 1841 (pour comparaison, Bayle compte 29 habitants en 1841), pour trois à cinq maisons indépendantes, parmi lesquels la famille Estienne (5 personnes, auxquelles il faut sans doute ajouter le foyer de Pauline Etienne, épouse du cultivateur Jacques André Pascal). En 1856, Simon ne compte plus que 18 habitants (Bayle 31) en 4 foyers puis en 1876, à la veille de l’installation de la famille Paul, 20 habitants (Bayle 32) en 7 foyers et 7 maisons.

Pour résumer, avant les années 1880, Simon abrite 4 à 7 foyers et une vingtaine de personnes, pour un bâti qui comprend quatre à cinq maisons : le bâtiment à l’entrée ouest a en effet été rajouté par les Paul. Restent donc la ligne de trois maisons qui constitue Simon à proprement parler (sur cette ligne, la maison la plus à l’Est est la plus récente), puis deux bâtiments isolés au sud-est.

Vers 1900 ce hameau devient une résidence d’été.

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Avant 1930 : la Simone des Paul

Les Paul ont peu à peu acquis les maisons et terrains dans les années 1880/1890.

Aimé Honnoré Paul (1845-1921) est négociant à Toulon où il exerce au 10 boulevard de Strasbourg, assez important pour avoir présidé un temps la Chambre de Commerce de la ville. Il réside rue Gimelli, dans le quartier de la gare de Toulon qui a commencé à être loti dans les années 1850 et il recherche une résidence d’été. Le 3 mai 1885, il achète aux Etienne qui étaient endettés auprès de lui : à Anne Claire Fabre d’une part, veuve de François André Etienne ; à Laurent Robert Etienne et à son épouse Hortense Fabre d’autre part. Laurent Robert Etienne est le fils de François André Etienne et de Anne Claire Fabre et il a été maire de Six-Fours dans les années 1870. Les Fabre avaient également été possessionnés dans le quartier d’après le cadastre de 1829. Sur le même cadastre, François André Etienne possédait les parcelles 1294 (sud-est) et 1339 (ouest), plantées en vignes pour une superficie totale de près de 2300 m2.

La famille Paul continuera à se livrer à des achats dans la zone en 1887 (auprès de Curet), 1888 (Aillaud) ou 1893 (famille Gantelme) pour constituer un domaine d’un seul tenant. C’est sans doute à ce moment que le hameau de Simon a peu à peu commencé à être nommé la Simone. Un peu plus haut, dans le hameau de Patin, c’est le moment où la propriété du maire Joseph Raynaud a commencé à être nommée ‘campagne Raynaud’ puis la Raynière.

A ce stade, la propriété est donc une résidence d’été, mais elle abrite des habitants à l’année et elle est cultivée par des fermiers. La famille Constant, du Brusc, pratiquait la culture de légumes dans la partie sud-ouest par exemple ou la famille Hugues dans les années 1940. Cela explique les équipements collectifs (les grands bassins qui servaient aux habitants de Simon et à ceux d’Audibert et la lessive ; Gérard Delahaye se souvient que Mme Long, de Audibert, venait y faire sa lessive jusqu’aux années 1960) et les usages collectifs (les cabinets extérieurs qui servent pour engraisser les terrains horticoles, comme le bassin qui se trouve au sud-ouest ; la noria qui se trouve au dessus du puits ovoïde). Le choix de certains arbres fruitiers (amandiers et figuier sur l’emplacement du parking actuel) tout comme celui de construire des clapiers à lapin (bâtiment séparé à l’ouest), montre que les propriétaires comptaient se nourrir en partie des productions de leur propriété.

On notera également que les trois maisons demeurent bien séparées, chacune abritant une structure autonome avec cuisine, salle à manger et cellier. L’impression d’un ensemble homogène vient de la réfection des façades nord à l’époque des Paul, vers 1900 puis de la réfection des toitures par Pastourelly dans les années 1960. La maison qui se trouve le plus à l’Est de la ligne a été louée par la famille Paulhiac, originaire de Champagne et réfugiée pendant la guerre, jusqu’aux années 1980. L’habitation séparée qui se trouve dans la partie sud-est est également louée.

Toutefois, alors que le hameau abritait une vingtaine de personnes avant les années 1880, c’est-à-dire autant que le hameau de Bayle, il n’en héberge plus que 12 en 4 foyers en 1886 : celui d’un boulanger, ceux de deux retraités et celui d’un cultivateur âgé de 77 ans. Si la propriété est cultivée, elle ne l’est pas par des résidents. D’ailleurs, le hameau se dépeuple ensuite : 6 personnes en 2 foyers en 1891, 10 en 2 foyers, les mêmes, en 1896. Finalement, le hameau n’apparaît plus dans le recensement de 1911.

Les trois fils de Aimé Honnoré Paul, Noël, Alexandre et Léonce, héritent de la propriété en 1921. Ils se la partagent tout en continuant à en user comme résidence d’été. C’est le mariage de Juliette Paul (1893-1985), fille de Léonce avec Emile Gérard (1887-1938), qui débouchera sur le rassemblement des parcelles et aussi sur une restructuration cohérente de la propriété.

La Simone des Gérard

L’acquisition

C’est cet Emile Gérard qui acquiert une part de la Simone par son mariage avec Juliette Paul (maison la plus à l’ouest), les autres parts demeurant la propriété des oncles de son épouse, Noël Paul et Alexandre Paul. Emile Gérard confirmera son implantation six-fournaise lorsque la Société des Salins d’Hyères achètera les salins des Embiez à Jules de Greling en 1920.

Il commence à aménager la part de sa femme dès son mariage (partie occidentale, maison qui correspond à la tonnelle, terrasse la plus soignée) avant de racheter les parts de ses oncles Noël Paul et Alexandre Paul en 1932.

La restructuration

Emile Gérard se livre à une restructuration importante entre 1932 et 1938.

Un nouveau chemin d’accès (correspond à l’entrée piéton) est ouvert, ce qui lui permet symboliquement d’entrer dans sa propriété sans passer devant chez les oncles de son épouse et un portail marque l’entrée de la propriété, qui aurait servi de modèle pour le portail de la crèche de Delmas.

Des arbres sont plantés : ligne de platanes, pins et cèdres, palmiers en bordure du tennis, marronniers, tilleul qui répondent à la terrasse de la maison la plus à l’Ouest, avec sa tonnelle, qui appartient à Emile Gérard depuis les années 1920.

Un tennis est aménagé sur des terrains jusque-là utilisés par des horticulteurs (au sud-ouest ; correspond à la parcelle 1295 du cadastre de 1829 ; 900m2 qui avaient appartenus à Jacques Richelme).

Après le décès précoce d’Emile Gérard en 1938 (51 ans), sa veuve Juliette Paul conserve la propriété en indivis avec ses quatre enfants (jusqu’à son décès en 1985), toujours comme résidence d’été, en entretenant (les toitures notamment comme je l’ai signalé), mais sans modifier les structures et en continuant à louer à l’année à des résidents qui participaient à l’entretien et à la surveillance,. Comme les familles Long ou Paulhiac)

Les occupations italienne (décembre 1942 à septembre 1943) puis allemande (de septembre 1943 à août 1944), ont entraîné des dégradations dans les maisons.

En guise de conclusion

  1. la Simone n’est pas un de ces grands domaines fermés avec maison de maître que l’on peut trouver sur le territoire de Six-Fours, c’est le vieux hameau de Simon ce que l’appellation la Simone masque tout juste
  2. Elle n’est pas un de ces grands domaines uniquement d’agrément, mais un domaine exploité agricolement et utilisé collectivement par les riverains et les locataires.
  3. la restructuration par Emile Gérard, sur une période très courte, très importante par le nouveau chemin d’accès et aussi par le tennis, débouche sur ce que nous voyons aujourd’hui.

    Gilles de Gantes