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Une personnalité de Six-Fours : Vincent Allègre

Coll Sénat

Né à Six-Fours le 7 août 1835, décédé à Mèze (Hérault) le 18 mai 1899. Vincent Allègre est un des enfants de Six-Fours les plus connus à la fin du XIXème, par ses fonctions (maire de Toulon, député du Var, sénateur de la Martinique) et par les réseaux (familiaux, sociaux, politiques) qu’il entretenait dans la commune et le canton. Une rue de Toulon et une rue de Bandol portent son nom. La rue Allègre de Six-Fours correspond par contre au quartier du même nom, mais sans rapport avec Vincent Allègre, qui est six-fournais par sa mère (une Aycard) et non par son père (dont la famille était établie entre Bandol, Sanary et la Cadière).

Le père de Vincent Allègre, Jean Baptiste Allègre, capitaine marin, était né à Bandol en 1798 où son père, François Paul Allègre, était garde champêtre. Jean Baptiste Allègre s’était installé à Six-Fours en 1831, après son mariage avec Alexandrine Aycard, née le 25 juin 1808, de feu Jean-Antoine Aycard, canonnier de son vivant et de Geneviève Pourquier. Le couple s’installa dans la maison familiale des Aycard située dans le village, tout près de la tour de l’horloge et Vincent Allègre y passa son enfance avec sa grand-mère maternelle Geneviève Pourquier (87 ans en 1856), ses deux soeurs, Baptistine son aînée et Clémence, sa cadette et son jeune frère (né en 1843). Vincent Allègre resta passionnément attaché à son village sa vie durant et il y fut enterré. Au printemps 1870, un journaliste de l’hebdomadaire toulonnais le Carillon (dimanche 20 mars 1870) insistait sur son attachement à son village natal. « Au sommet de ce cône toujours étincelant de lumière, qu’un bouleversement a fait surgir là tout exprès pour rompre la monotonie du paysage […] se trouve le manoir de ses pères. Je le dis sans ironie : cette habitation est flanquée d’une tour […] Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il a une passion folle pour le nid où il a vu le jour. » En décembre 1874, l’homme politique décrit lui-même son village natal : « parmi les rares demeures encore habitées au sommet de la colline se trouve notre maison. Les ruines, l’abandon, le silence des âges entourent le logis de quelques vivants. […] Je ne veux point pleurer sur mon désolé pays puisqu’il va revivre sous un autre aspect et reprendre son glorieux rang. » Par ces mots, Vincent Allègre fait allusion à la construction projetée du fort.

Coll Amis du P.

La famille Aycard était une des plus importantes de Six-Fours, plusieurs de ses membres ayant exercé des fonctions consulaires avant la Révolution puis siégé dans les Conseils municipaux de la commune après 1794. Jean-Baptiste Allègre était lui-même un des notables six-fournais parmi les plus imposés dans les années 1860. La notice d’autorité de l’Assemblée nationale indique que la famille de Vincent Allègre était légitimiste : il s’agit probablement d’une allusion à la famille maternelle (Aycard), car Vincent Allègre indiquait lui-même que son grand-père François Paul Allègre avait été inscrit dans la Garde nationale de Sanary en août 1792 (discours au moment de l’inauguration d’un monument commémorant la Révolution à Bandol le 4 août 1889, auprès de son ami le maire de la localité, Alfred Vivien).

Vincent Allègre fait des études de droit à Aix, devient avocat et s’inscrit au barreau de Toulon. Conseiller général du canton de La Seyne sous l’Empire, il est un des seuls élus républicains de l’assemblée, de la même façon que, conseiller municipal élu de Toulon, il s’oppose au maire de Toulon (nommé), aux côtés d’un autre avocat républicain élu, Noël Blache.

Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, Vincent Allègre est nommé maire de Toulon par le nouveau préfet républicain Paul Cotte le 30 septembre (Il remplace Noël Blache) et il le demeurera jusqu’au 24 mai 1873, où l’élection de Patrice de Mac Mahon comme Président de la République en remplacement d’Adolphe Thiers, entraîne la formation d’un premier ministère de Broglie, qui se livre immédiatement à un remplacement massif des maires et préfets républicains par des personnalités plus conservatrices. A Toulon, l’amiral Martin remplace Vincent Allègre. La période 1871/1877 est marquée par un conflit politique très vif, au niveau national comme au niveau local, entre les conservateurs qui souhaitent un retour à la monarchie ou au moins un régime de type autoritaire et présidentiel (l’Ordre moral) et les Républicains qui s’opposent à l’Eglise catholique (et notamment aux Congrégations) et militent pour la pérennisation des principales libertés (de la presse, des réunions, de l’élection des maires…). Vincent Allègre appartient à la famille républicaine, sous la houlette de Léon Gambetta.

Gambetta Photo Etienne Carjat

Les élections législatives du 20 février 1876 sont un des épisodes de ce combat. Un Congrès républicain désigne Vincent Allègre comme candidat dans la deuxième circonscription du Var (Toulon extra muros, qui va de Hyères à Saint-Cyr), mais de justesse contre Maurel, avec soupçons de fraudes (le maire de Hyères, Long, conteste certaines délégations) et uniquement après avoir promis de ne pas se présenter dans la première circonscription (Toulon intra muros). Aux élections législatives, Vincent Allègre obtient 48% des suffrages au 1er tour contre Jaubert, conservateur et propriétaire à la Crau (35%), le dissident républicain Long réalisant 18%, essentiellement à Hyères et à Cuers. Vincent Allègre obtient 82,4% des suffrages exprimés dans son village natal. Il est naturellement élu député au 2ème tour. Dans cette Chambre à majorité républicaine, Vincent Allègre se range dans les rangs gambettistes (pour l’interdiction des Congrégations, pour l’élection des maires, pour le développement de l’enseignement public, pour l’arrêt des poursuites contre les Communards…). Cette Chambre ne siège toutefois que quinze mois vu qu’elle est dissoute le 17 mai 1877 par le Président Mac Mahon, conservateur, ce qui provoque la protestation de 363 députés (dont Vincent Allègre) et une nouvelle campagne électorale.

Manifeste des 363
Wikipedia

Celle-ci, qui doit décider de la nature du régime est extrêmement violente et elle se déroule suivant une forme très particulière : le gouvenement conservateur limite sévèrement la diffusion de la presse (et notamment, pour ce qui concerne la Var et Six-Fours, l’organe des Républicains, Le Progrès du Var et des Basses-Alpes, interdit de vente sur la voie publique) et prohibe les réunions publiques. Les maires élus quelques mois plus tôt sont remplacés par des maires conservateurs nommés : pour ce qui concerne Six-Fours, le maire républicain Jean Laurent Valentin est remplacé par le notable Auguste Guilhon. En tant qu’un des 363, Vincent Allègre est naturellement le candidat républicain face à Léopold Gay dans la deuxième circonscription du Var. Le journal conservateur La Sentinelle du Midi dresse de Vincent Alègre un portrait au vitriol dans son numéro du 4 octobre 1877 : « Il est blond, il est même blondasse, il a des gants de Suède chocolat au lait qui se refroidit ; et il joue avec ses gants, les étirant, les tirant et les retirant, que c’est une manie chez lui de jouer avec ses gants, (mets trois accents circonflexes sur l’a de blondasse) ; il n’est pas gentil comme le tien [de candidat ; c’est un dialogue imaginaire entre deux jeunes filles], mais il est entre gentillet et gentillâtre), il serait gentillet s’il n’était pas un peu bouffi sur la figure ; il serait gentillâtre, s’il n’était pas… si gentillet. Et puis il a une façon de remuer ses hanches, une façon singulière… Il frétille comme frétillerait un thon, qui voudrait faire l’aimable. Et sa voix ? Car il a une voix, quoi qu’on en dise, puisqu’il parle, sa voix est tantôt une crécelle en fausset et tantôt une crécelle en basse, j’entrevois une calebasse qui bourdonne. […] C’est que mon candidat n’est défini en rien du tout, et ma tante a même prétendu qu’il était indéfinissable. » Description humoristique certes, mais au ton homophobe bien affirmé…

Malgré les pressions administratives et malgré la bassesse des arguments utilisés à son encontre, Vincent Allègre est facilement réélu le 14 octobre 1877 : 9155 suffrages (60,1%) contre 6010 à Léopold Gay. Il obtient ses meilleurs scores à La Seyne (70,3% des voix ; 1425 contre 591 à Léopold Gay) et à Six-Fours (77,9% ; 558 contre 158). Dans la Chambre nouvellement élue, Vincent Allègre siège de nouveau résolument dans la majorité républicaine qui, derrière Léon Gambetta puis Jules Ferry, établira définitivement la République. Il intervient toutefois relativement peu. A la veille du renouvellement de 1881, Jules Ferry le nomme gouverneur de la Martinique le 20 juillet 1881, ce qui entraîne sa démission de son siège à l’Assemblée nationale.

Vincent Allègre demeure Gouverneur de Martinique de 1881 à 1887. Il s’y montre très libéral (en tant que gouverneur, il est chargé de la promulgation des grandes lois républicaines) et résolument anti-raciste, ce qui lui vaut l’hostilité déclarée des Békés. Il est élu sénateur de la Martinique le 17 décembre 1882, élection naturellement invalidée un mois et demi plus tard. Il sera toutefois de nouveau élu sénateur de la Martinique le 21 octobre 1888 (après avoir quitté son poste de Gouverneur) et réélu le 3 janvier 1897.

Vincent Allègre conserve cependant ses amitiés et ses réseaux à Six-Fours et dans le canton du Beausset où il se rend régulièrement, ce dont la presse ne manque jamais de se faire l’écho. Pendant l’été 1887 par exemple, il passe quelques jours à Six-Fours et le journal républicain Le Petit Var (mardi 9 août 1887) ne manque pas d’en informer ses lecteurs : « M.Allègre, ex-maire de Toulon et gouverneur de la Martinique, est venu aujourd’hui dans notre ville pour serrer la main à ses amis. M.Allègre, malgré le long séjour qu’il a fait dans les Antilles, ne parait nullement fatigué et a conservé toute la verdeur de la jeunesse. Il compte passer l’été à Six-Fours, son pays natal. » Deux jours après son élection de sénateur de Marinique, il est témoin du mariage de sa nièce, Louise Thérèse Guis (fille de sa soeur Baptistine, qui avait épousé un maître-maçon chargé de la plupart des travaux publics de Six-Fours à l’époque) le 30 octobre 1888. Le dimanche 4 août 1889, il est invité d’honneur par son ami Vivien, maire de Bandol, de l’inauguration du monument dédié à la Révolution et prononce un discours. Au moment des élections législatives d’août 1893, il se montre d’ailleurs très actif dans la campagne aux côtés de son ami Alfred Vivien, candidat républicain modéré dans le 2ème circonscription. Il intervient également au Sénat, à l’occasion, sur des affaires locales (discussions quant au tracé des chemins de fer locaux au début des années 1890, grève aux Chantiers de La Seyne en avril 1898). Parmi ses amis proches, le docteur Loro (de la Seyne), Vivien (maire de Bandol) ou Marquery (maire de Saint-Cyr) sont des modérés, opposés aux socialistes, de plus en plus influents dans les années 1890.

Le décès de Vincent Allègre à Mèze (Hérault), chez son frère, le jeudi 18 mai 1899 est donc un événement considérable pour Six-Fours. D’après le court éloge prononcé au Sénat par Armand Fallières le 19 mai, Vincent Allègre avait été y soigner une santé altérée dans un endroit au « climat à peu près semblable à celui de son pays natal », dont Fallières donne le nom. La mairie de Toulon comme celle de la Seyne, mettent leurs drapeaux en berne. La République du Var, qui est un journal conservateur, n’annonce les obsèques que dans le numéro du lundi 22 alors que celles-ci ont eu lieu le dimanche 21. Un bref compte-rendu paraît toutefois dans le numéro du mardi 23. L’enterrement a lieu le dimanche 21 mai. Le cercueil arrive à la gare de Sanary, puis le cortège emprunte le pont sur la Reppe, entre à Six-Fours par le pont de Reynier (sans doute à la limite de Sanary, car la République du Var indique que le cortège se forme côté Sanary), passe par le quartier Audibert où se trouve la demeure du défunt, monte au vieux village où l’absoute est donnée devant la vieille chapelle (Petit Var) ou dans la vieille paroisse (République du Var).
Dans l’assistance, Bonnerot, préfet du Var, Ceccaldi, secrétaire général, Eugène Simoneau, délégué de la Martinique, Légitimus, député, Micholet, 1er adjoint de Toulon, Marquery, maire de Saint-Cyr, Eugène Séverin Saurin, maire de Six-Fours, Alfred Vivien, maire de Bandol, le docteur Loro, de la Seyne, etc. La République du Var rapporte le seul discours de Marquery, maire de Saint-Cyr, pour qui Allègre avait été « non pas un collègue ordinaire, mais un guide, un ami sûr et un protecteur dévoué. » Au faîte des honneurs, Allègre occupait une modeste place de conseiller municipal à Saint-Cyr et Marquery avait encore parlé avec lui quelques semaines avant son décès. Le docteur Loro, conseiller municipal de La Seyne et médecin des Forges&Chantiers prononce également un discours.

Hégesippe Légitimus
Photo Coll BNF

Le Petit Var ne fait pas mention du député Légitimus dont la présence dût pourtant faire sensation : le jeune homme (né en 1868, il n’a que trente-et-un ans) était noir et venait d’être élu député de Guadeloupe sur un programme socialiste très avancé. Quant à Eugène Simoneau, il a vingt-six ans (né en 1873), il est l’enfant adoptif de Vincent Allègre et dit quelques mots sur la tombe. Les dossiers DataBnF indiquent qu’il était né à Saint-Pierre et qu’il fut attaché au Secrétaire d’État aux Postes Mougeot en 1898, puis sous-préfet à Sisteron en 1902, avant de muter au secrétariat général de Haute-Saône en 1904. Il aurait pris sa retraite en 1933 et serait décédé en 1936. Moulet et Roche, neveux de Vincent Allègre disent également quelques mots.

Vincent Allègre est enterré dans un caveau privé, dans la propriété familiale près du fort, au pied de la maison paternelle, celle-ci « délabrée par le temps ». Vincent Allègre n’avait pas d’enfant ni d’épouse au moment de son décès.

Toute autre information sur la vie de Vincent Allègre serait bien sur la bienvenue…. Dans ce cas n’hésitez pas à la communiquer à notre site.

Article de Gilles de Gantes