La Seconde Guerre Mondiale à Six-Fours : une commune dans la tourmente (septembre 1939- août 1944)
Auteurs : Jacqueline Viollet-Repetto et Claude Majastre [1]
En 1939, Six-Fours La Plage compte environ 4000 habitants. C’est une commune essentiellement agricole (vignes, cultures maraîchères l’été et florales l’hiver) où vivent, cependant, un grand nombre d’ouvriers travaillant à l’arsenal de Toulon ou aux Forges et Chantiers de la Méditerranée.
1. De la mobilisation à la signature de l’armistice (août 1939 – juin 1940)
Le 1er septembre 1939, l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes sonne le glas de la paix. L’ordre de mobilisation générale est donné. Tandis que le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre, le Var est placé dans la zone des armées et Six-Fours fait partie du camp retranché de Toulon [2].
Le registre de correspondances adressées par la municipalité à la préfecture [3] traduit bien l’atmosphère des premiers mois de guerre. L’heure est à la défensive et à la suspicion.
Les attaques aériennes et l’utilisation des gaz sont particulièrement redoutées [4]. L’arrêté municipal concernant les mesures à prendre pour la protection individuelle en cas de menace de bombardement aérien, l’achat de masques à gaz [5] et l’organisation de la défense passive, en charge de la protection civile et confiée au sergent de ville Romain Jauffret, comptent parmi les premières mesures prises par la municipalité de gauche dirigée par Eugène Montagne [6]. Les premières réquisitions ont lieu pour le compte des autorités militaires : automobiles, immeubles, comme par exemple Le Rayon de soleil dès le 9 septembre pour un officier et le cantonnement de 17 personnes, ou encore maisons individuelles pour loger des soldats. Mais, si l’émotion est à son comble en cette fin d’été, elle s’émousse progressivement au cours des mois suivants. Le danger semble s’éloigner. Ce sentiment est partagé par beaucoup, y compris par de nombreux responsables politiques. Le maire s’en émeut. Début décembre 1939, une affiche de mobilisation tchécoslovaque est placardée à la porte de la mairie. Le maire répond très favorablement à la volonté d’accélérer les demandes de naturalisation en vue d’être enrôlé dans l’armée française. Il estime pouvoir présenter les dossiers de 20 à 30 hommes. Mais il déchante rapidement en constatant que ces dossiers reviennent accompagnés de notices de renseignements confidentiels comme s’il s’agissait de demandes ordinaires de naturalisations. « En bons Français, — déclare-t-il — nous regrettons, mes collaborateurs et moi, de voir ainsi mettre un frein à la volonté qu’ont certains étrangers de venir combattre à côté de nos fils ».
La méfiance est à l’ordre du jour. Les communistes et les étrangers à la commune en font particulièrement les frais. Les effets du pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939 perdurent. Après la dissolution du parti communiste et l’arrestation de ses deux députés du Var, les militants signalés font l’objet d’enquêtes ordonnées par la préfecture. Fin novembre 1939, en réponse à une lettre du préfet, le maire certifie que « Léger Paul, domicilié au quartier de la Reppe, était inscrit au PC où il était un des principaux membres actifs » ou encore « qu’une grande partie des membres du PCF fréquentant le bar Bonnus sont mobilisés ».
« L’espionnite » sévit. Plusieurs rapports de police font état de lettres de dénonciations. « Mme M. demeurant au hameau du Brusc m’a informé – déclare le commissaire de police — que deux individus se disant réfugiés polonais et demeurant au Brusc lui ont paru suspects du point de vue national. Il y a quelques jours les deux personnages susdits à l’aide d’une jumelle puissante avaient l’air de s’intéresser aux évolutions d’un bateau dans le genre de ceux de Tamaris et qui se trouvait dans les eaux de la rade du Brusc… » Les Italiens, très nombreux dans le Var – quarante-cinq mille – et dans la commune sont particulièrement suspectés.
Au fil des mois, comme l’ensemble des Français, les Six-Fournais s’installent dans une passivité résignée. Ils sont confrontés aux premières difficultés d’approvisionnement. En janvier 1940, la commune manque complètement de bois et de charbon, les écoles ne peuvent plus être chauffées. Les restrictions s’étendent à de nombreux produits, alcool, essence, viande et, au printemps 1940, une soupe gratuite est distribuée à l’école du Brusc.
L’invasion de la France par l’armée allemande en mai 1940 et « le coup de poignard dans le dos » que constitue la déclaration de guerre de l’Italie à la France le 10 juin provoquent dans le Var, comme ailleurs, un sursaut, de courte durée cependant. Le préfet adresse au maire, en mai 1940, une circulaire l’invitant à constituer un groupe de gardes civiques afin de protéger la population. La réponse faite par le maire laisse peu de doute sur l’efficacité de cette mesure : « devançant toutes les instructions, nous avons songé dès les premiers jours de la guerre à surveiller les infractions sur l’éclairage, les récoltes laissées sur pied par les mobilisés, les fermes isolées, les personnages inconnus dans la commune ou paraissant suspects. Nous avons été une des rares communes à constituer cette police supplémentaire à compter du commencement de septembre. Les hommes étaient munis de brassards et armés d’un fusil de chasse qui, à ce moment, nous paraissait suffisant. Vous conformant aux règlements, vous nous avez fait savoir que « vous n’étiez pas partisan d’armer les policiers civiques », nous avons aussitôt avisé nos volontaires et les avons priés d’effectuer leurs rondes sans armes. Ne voulant pas exposer leur vie, les volontaires ont abandonné la tâche qu’ils avaient librement acceptée. Leur nombre alla en décroissant et finit par tomber à zéro au début de l’année. Leur chef, M. Quin, commissaire central de police en retraite nous a avoué qu’ils étaient découragés… »
Le découragement s’accompagne d’une méfiance accrue à l’égard des Italiens résidant dans la commune. Plusieurs rapports de police font état de dénonciations de propos favorables à Mussolini ou de propos défaitistes. Un individu domicilié au Brusc, d’origine italienne, naturalisé, est accusé d’être un espion à la solde de l’Italie. [7]
Les attaques aériennes italiennes sur Toulon et sa région à partir du 12 juin 1940 accentuent l’italophobie de certains. Lointaine jusqu’alors, la guerre touche brutalement la région. Le 12 juin, en effet, vers 22h30, trois avions italiens survolent la région toulonnaise. La DCA réagit violemment : un des avions aurait été vu tombant à la mer au sud de Sanary. Un peu plus tard dans la nuit, d’autres bombardiers italiens attaquent le terrain d’aviation Le Palyvestre de Hyères et l’usine de torpilles de Saint-Tropez. Le 13, dix-sept bombardiers attaquent le port de Toulon. A nouveau, la DCA disperse la formation et les bombes lâchées au hasard ne font que peu de dégâts. Le 15, les terrains d’aviation de Cuers et du Luc sont à leur tour attaqués par 23 bombardiers italiens escortés de 15 chasseurs. Le second maître Le Bihan [8] de l’escadrille AC3 basée à Cuers-Pierrefeu jette son avion, un Bloch 151[9], sur l’ennemi. Il décédera dans la soirée.
L’évacuation de la population civile de Toulon est ordonnée le 20. Le lendemain, un avion italien jette cinq bombes sur les salins d’Hyères. A Six-Fours, grâce à ses quatre batteries anti-aériennes équipées de canons de 90 mm, le fort participe activement à la défense aérienne de la zone portuaire de Toulon. Jean Ainardi semble être la première victime civile [10] de ces combats sur la commune. Le Petit Var, journal de la région, écrit dans son numéro du 24 juin : « hier à 17 heures ont eu lieu les obsèques de monsieur Jean Ainardi âgé de 71 ans. Ces jours-ci alors que la DCA s’opposait par des tirs de barrage aux attaques de l’aviation ennemie, monsieur Ainardi s’aventure dans son jardin potager, malgré les supplications de son entourage. Le tir devenant plus intense le septuagénaire se jeta à terre à plat ventre ; quelques instants après il était blessé par plusieurs éclats d’obus et décédait deux jours après au milieu de cruelles souffrances ».
D’autres victimes, militaires celles-là, sont à déplorer. C’est le cas par exemple du capitaine Jean Robert, engagé dans les combats se déroulant au Nord de la France en mai-juin 1940. [11]
Tandis que le 17 juin Le Petit Var titre triomphalement (et sans doute exagérément) « Onze appareils italiens ont été détruits », le nouveau gouvernement présidé par le maréchal Pétain demande l’armistice, signé le 22 juin avec l’Allemagne et le 24 avec l’Italie.
2. Au temps du régime de Vichy et de la zone libre (fin juin 1940 – novembre 1942)
« Travail, Famille, Patrie » : l’heure est désormais à la Révolution nationale engagée par le gouvernement de Vichy.
La municipalité, de gauche, ne tarde pas à en faire les frais. Dès l’été 1940, une lettre anonyme concernant la gestion de la commune est adressée à la préfecture. Peu après, une enquête de police est conduite, disculpant la municipalité. Au printemps 1941, la Légion des Combattants réclame la démission des “municipalités indésirables” (dont celle de Six-fours) et leur remplacement. En mars 1941, le maire adresse ce courrier au chef de la Légion des Combattants de Six-Fours : « Il me revient de plusieurs côtés que certains légionnaires formuleraient publiquement des attaques touchant l’honnêteté de certains membres de la municipalité que j’ai l’honneur de présider. Je me permets de vous soumettre l’idée de la création d’un tribunal d’honneur spécial aux légionnaires et dont les avis seraient assortis des sanctions nécessaires allant jusqu’à l’exclusion de ceux qui ne pas dignes de figurer dans une assemblée d’honnêtes gens. Bien entendu ce tribunal ne statuerait que sur les attaques dirigées contre les membres du conseil municipal appartenant à la Légion. » [12] Les relations se tendent de plus en plus entre la Légion et la municipalité, accusée de faire de la propagande gaulliste. A la fin du mois de juin 1941, les membres du conseil municipal adressent leur démission au sous-préfet considérant être « parvenus au terme de notre mandat.» [13] Une nouvelle municipalité est nommée par le préfet, dirigée par Jules Marquand, un capitaine d’artillerie en retraite, âgé de 56 ans. [14]
La famille est à l’honneur. La Croix de la famille française est remise à une mère de famille, au nom du maréchal Pétain, devant les élèves de l’école de la Coudourière en mai 1941. Les valeurs sportives sont exaltées. Dès septembre 1940, la décision est prise d’aménager des terrains de sport pour les écoles de la commune. En août 1941, la municipalité Marquand délibère sur la dénomination des places. Et dans sa séance du 9, « le Conseil municipal se rangeant à l’avis de son Président sollicite à l’unanimité de l’administration supérieure l’autorisation de : 1° transférer le nom de place « Maréchal Pétain » à la place Jean Jaurès ; 2° de donner le nom de « Place Jean Mermoz » à l’ex-Salle Verte. »
Les retombées de la politique d’exclusion conduite par Vichy se manifestent également à l’échelle communale. En juin 1941, une circulaire est adressée au maire afin de constituer une liste de juifs en préalable au recensement officiel du 19 juillet. La chasse aux communistes reste d’actualité. Fin 1942, est conduite une nouvelle enquête de police concernant leur activité dans la commune. Deux personnes sont suspectées d’être des indicateurs communistes. Mais après enquête, elles sont innocentées. [15] Face à ces mesures, peu de signes tangibles de résistance apparaissent. Quelques tracts communistes sont distribués sur le territoire de la commune, fin 1941 notamment. L’un, intitulé « Sauvons Mérot » est distribué à Reynier en novembre [16], l’autre, titrant « On assassine les patriotes », est distribué au quartier de La Sardine en décembre.
Toutefois depuis l’entrée en vigueur du rationnement au mois d’août 1940, l’une des préoccupations majeures des Six-Fournais concerne le ravitaillement. Dès cette date, d’ailleurs, le maire signale au préfet : « Les habitants sont au courant de ce qu’ils doivent faire pour obtenir la ration qui leur revient, mais un grave inconvénient surgit : ils se présentent chez les fournisseurs qui sont souvent dans l’impossibilité de faire la délivrance faute de marchandises… » Les difficultés sont aggravées au mois de novembre 1940, par l’arrivée d’environ 200 réfugiés en provenance de Menton. Dans une lettre adressée au directeur départemental du ravitaillement, le maire réclame du son, de l’avoine, de la paille destinés au bétail et animaux de ferme, « les chevaux ne pouvant plus fournir le travail demandé par la culture. Les vaches ne donnent plus la quantité de lait habituelle. » Une circulaire relative au recensement des terres abandonnées est adressée en décembre 1940 par la préfecture au maire, à laquelle ce dernier répond : « celles-ci sont de très faibles étendues à l’exception de celles appartenant à la Société des Tuileries de Romain Boyer. Celle-ci a pris l’engagement de mettre dès cette année en cultures toutes les terres lui appartenant. D’une manière générale tous les propriétaires ont les mêmes intentions sous réserve d’obtenir les semences nécessaires. » Au fil des mois, la situation économique de la commune se dégrade, à tel point qu’en janvier 1942 se déroulent à Six-Fours des manifestations de ménagères contre les insuffisances du ravitaillement. [17]
La municipalité en place depuis août 1941 semble progressivement se diviser. Entre juin à novembre 1942, plusieurs conseillers municipaux démissionnent. Les problèmes rencontrés par les Six-Fournais jusqu’à l’automne 1942 sont cependant sans aucune commune mesure avec ceux qui les attendent à partir du mois de novembre de cette même année.
3. L’Occupation (novembre 1942 – août 1944)
3.1. La Première Occupation allemande (fin novembre – mi décembre 1942)
A la suite du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, les troupes allemandes envahissent la zone libre le 11 novembre 1942. Mais Six-Fours, on l’a dit, fait partie du camp retranché de Toulon. Avec l’appui de la Marine allemande et le soutien de Vichy, les chefs de la Marine de Toulon (le préfet maritime, Marquis, et le commandant de la Force de Haute Mer, de Laborde) ont obtenu d’Hitler, le 11 novembre, que le camp ne soit pas occupé, moyennant leur engagement sur l’honneur de le défendre contre une attaque anglo-saxonne. [18]
Débute pour la région toulonnaise et ce jusqu’à la fin du mois de novembre une période extrêmement confuse.
Le 12 novembre les troupes d’occupation se sont arrêtées de part et d’autre de Toulon, les Allemands à Ollioules et Bandol et les Italiens sur le Gapeau, la défense du camp retranché devant être assurée par les forces françaises. Comme le souligne fort justement Jean-Marie Guillon : « on se trouve donc dans une situation paradoxale, celle d’un siège nié, l’assiégeant réel étant considéré comme un allié, alors que les armes sont tournées vers « un agresseur » potentiel en qui la majorité de la population voit un libérateur. » Dès le 12 novembre, les limites du camp retranché, et en conséquence de la portion libre, sont précisées : dans l’attente de renforts, elles sont provisoirement restreintes, la limite ouest étant positionnée du Cap Nègre (Six-Fours) au Gapeau. Les Allemands occupent donc Sanary du 13 au 16 novembre. Pendant ces quelques jours, le préfet maritime secondé par le commandant de la Force de Haute Mer cherche à renforcer la défense du camp retranché. Depuis Mers-el-Kébir (juillet 1940), la Marine vit dans la hantise d’une action anglo-saxonne contre Toulon. Mais à partir du 8 novembre 1942 cette hantise se transforme en une véritable obsession. Et lorsque, signale Jean-Marie Guillon, les Italiens annoncent que les forces britanniques croisent au large du cap Sicié et s’apprêtent à débarquer vers Le Brusc, cette information est prise au sérieux… Le regroupement de renforts terrestres français pour assurer la défense du camp amène le report de ses limites au niveau de la pointe de La Cride, à Sanary, où la relève des soldats allemands a lieu le 16 [19]. Mais à cette date le sort de la région toulonnaise est déjà consommé. Depuis le 14, Hitler a décidé de lancer l’opération Lila (prise de Toulon). Le 17, il ordonne la dissolution de l’armée d’armistice, qui retire en conséquence toutes les troupes françaises des positions défensives du camp retranché. Et malgré les protestations du préfet maritime, les troupes allemandes pénètrent dans les limites du camp retranché. Le 27, la flotte se saborde.
Pendant quelques jours, de la fin novembre au début du mois de décembre 1942, Six-Fours connaît une première occupation allemande. Le 23 novembre 1942 le maire signale au préfet : « une partie du territoire de Six-Fours principalement le quartier des Lônes vers Sanary est occupée par les unités de l’Axe. » [20] Le 8 décembre, Jules Marquand écrit au commandant des unités allemandes O88-77A : « …malgré mon opposition, la salle du conseil municipal sise au rez-de-chaussée de la mairie a été occupée par des unités placées sous vos ordres. Les locaux municipaux sont très exigus et cette occupation présente de sérieux inconvénients pour le fonctionnement de mes services… » [21] Timide protestation face à un occupant qui s’arroge tous les droits. Le rapport mensuel adressé par la mairie de Six-Fours à la préfecture à la mi-décembre 1942 permet de faire un bilan de cette première occupation allemande.
« A la date du 23 novembre le maire de Six-Fours a rendu compte des premières difficultés entraînées par le séjour des troupes allemandes dans la commune. Ces difficultés sont de plusieurs ordres :
Rapports du maire avec l’autorité militaire. Du fait de l’installation tardive d’un bureau de commandement, le maire n’a pu s’adresser dès les premiers jours à une autorité responsable capable d’empêcher les agissements rapportés ici. Par la suite les relations avec le commandant du cantonnement ont été assez tendues malgré les efforts du maire pour les atténuer. C’est ainsi que le salut aux couleurs devait être interdit dans les écoles, que la menace de tirer sans préavis sur les habitants circulant la nuit fut faite puis rapportée, que la salle du conseil municipal devint une chambrée…
Logement et cantonnement. Les dispositions de la circulaire du 14 novembre 1942 ne purent être mises en pratique pour les raisons suivantes :
La commune comprend 90 hameaux dispersés sur une grande étendue. Les troupes à loger opérant simultanément le plus souvent sans avertir la mairie, il fut matériellement impossible aux deux seuls agents municipaux d’être partout à la fois. C’est ainsi que beaucoup de maisons vides de leurs occupants furent forcées sans qu’il soit possible de faire un inventaire. A remarquer que malgré les demandes réitérées de la municipalité aucun bulletin de réquisition n’a été remis préalablement à l’occupation. Ces bulletins ne devaient être délivrés qu’au départ des troupes et certaines ont omis de le faire.
Dégâts. Les dégradations commises par la troupe sont nombreuses.
1° des maisons ont été endommagées et le mobilier dispersé dans plusieurs immeubles.
2° des objets mobiliers ont servi de bois de chauffage.
3° une maison a été complètement rasée au bord de la mer sans que la mairie soit informée.
4° les barques de pêche au Brusc ont été utilisées par la troupe. Certaines ont été rendues inutilisables.
5° les Allemands ont pratiqué la pêche à la grenade.
6° le gros des unités allemandes étant remplacées par les forces italiennes, il vient d’être constaté à leur départ que des meubles ont été emportés ainsi que les installations électriques intérieures complètes : fils, ampoules, lustres…
7° d’importants dégâts ont été causés aux cultures et prairies du fait des installations militaires et manœuvres de matériel lourd : canons, chars, camions…
Les réclamations de toutes sortes arrivent à la mairie et plus de vingt ont déjà été transmises à la préfecture. » [22]
A la mi-décembre 1942, les Italiens remplacent les Allemands jusqu’à Menton. Il s’ensuit par conséquent pour les Six-Fournais, une deuxième occupation, italienne cette fois.
3.2. L’occupation italienne (mi-décembre 1942 – septembre 1943)
L’arrivée dans la commune des soldats italiens appartenant à la 4e Armée, exténués, dans un état lamentable (tous les témoignages concordent sur ce point), s’accompagne très vite d’une série de dégradations. Dès le 8 janvier 1943, le maire s’adresse au commandant du 1er Bataillon du 77e Régiment d’Infanterie « Lupi di Toscana » installé quartier Gabois : « Les cultures sont littéralement mises au pillage si bien qu’aucun apport en légumes n’a lieu sur le marché, ce qui compromet gravement le ravitaillement de la population. Des réclamations qui me parviennent journellement, il résulte que les troupes placées sous vos ordres ne sont pas étrangères à cet état de choses ; de même certains de vos hommes n’hésitent pas à se présenter chez l’habitant, baïonnette au canon, exigeant la vente de légumes ou de lapins… » [23] Les problèmes de ravitaillement s’aggravent de manière alarmante provoquant en juin les protestations de onze mères de famille. [24]
Les Italiens s’efforcent de remettre en fonction la batterie du fort de Six-Fours, sabotée en partie en novembre 1942. La mise en défense du littoral leur paraît de plus en plus urgente à un moment où la guerre tourne pour eux à la catastrophe. Au cours des premiers mois de l’année 1943, l’Italie rappelle une partie de ses divisions, ce qui arrange les Allemands qui, à partir des mois de mai et juin, pensent pouvoir contrôler plus étroitement une bonne partie de la base navale de Toulon [25]. En juin 1943, les autorités italiennes, ayant décidé de faire évacuer certaines communes littorales, réclament l’évacuation de la population de Reynier [26], suscitant à la fois émotion et protestations à Six-Fours. Une carte des îlots à évacuer est établie au mois de juillet (secteurs de la plage du Cros, de la briqueterie — cette dernière non incluse — et du littoral jusqu’à Sanary), les évacuations devant être effectuées entre les 15 et 30 juillet. Il est prévu que les personnes ne devront pas passer la nuit dans les zones évacuées et que des laissez-passer seront délivrés aux propriétaires et aux travailleurs des terrains en culture pour y surveiller leurs exploitations. L’évacuation est préparée par la municipalité [27]qui a réquisitionné les villas et appartements libres pour loger les quelques 550 évacués prévus [28].
Emotion donc provoquée par ces évacuations alors qu’aucune nécessité militaire immédiate ne les justifient, mais émotion également éprouvée à la suite des arrestations opérées dans la région par les Italiens le 13 juillet 1943. En effet, 36 personnes sont arrêtées à Ollioules, 15 à Sanary dont le commissaire de police, 15 à Bandol, 8 à Six-Fours dont A. Crispin, ancien maire SFIO de la commune. La plupart d’entre elles sont acheminées à Modane au Fort Victor Emmanuel avant d’être pour la plupart relâchées peu après. [29] Le 14 juillet 1943, le maire d’Ollioules adresse ce courrier au sous-préfet de Toulon : « J’ai vécu une bien pénible journée le 27 novembre [1942, NdlR]. Mon cœur de Français et de marin a beaucoup souffert mais ma peine était atténuée par le sentiment du devoir accompli par mes camarades, en conformité des ordres. Tel n’a pas été le cas du 13 juillet… Aussi j’ai vécu en ma qualité de maire et surtout d’Ollioulais de souche une journée également très pénible et d’autant plus pénible que je n’ai aucune satisfaction d’amour propre du devoir accompli, sinon d’être dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit pour atténuer les rigueurs de l’ordre reçu par les occupants. Dès que j’ai appris que des arrestations étaient effectuées, je vous ai fait téléphoner par mon premier adjoint ; j’ai vu ainsi que vous étiez au courant de ce qui se passait. A midi j’ai fait demander par un officier interprète si je pouvais connaître exactement quelles étaient les mesures envisagées et quel serait le sort des personnes arrêtées. Il me fut répondu que l’ordre avait été envoyé dans la nuit venant de Rome, qu’il était général pour toute la région occupée par les troupes italiennes et que les personnes seraient envoyées sur la frontière à cause de leur grand nombre, pour un temps limité… Je me suis rendu vers 16 heures à l’école où étaient rassemblées les personnes arrêtées ; j’ai demandé à être conduit auprès d’elles, je n’ai pas eu satisfaction… Etaient rassemblées les personnes de Reynier, Sanary, Ollioules, Ste-Anne d’Evenos et je crois Bandol. Deux camionnettes les ont emmenées dans la direction de Toulon. J’ai compris que 23 arrestations avaient eu lieu à Ollioules comprenant des personnes soupçonnées de communisme ou de gaullisme, sans tenir compte de leur âge et de leur situation de famille. »
Mais les jours du régime fasciste sont comptés. Le 10 juillet les alliés ont débarqué en Sicile. Le 25, Mussolini est destitué et « les Italiens annoncent à leurs alliés allemands qu’ils ont l’intention de rapatrier leur 4e Armée pour défendre leur sol national désormais menacé par un débarquement imminent des troupes alliées ayant conquis la Sicile. Hitler se voit donc obligé de remplacer par des unités allemandes les divisions italiennes occupant le Midi de la France. L’évacuation des troupes italiennes se fait par étapes, en commençant par celles qui sont installées le plus à l’ouest et vers la fin du mois d’août 1943 la 19e Armée allemande commence officiellement la relève… Le 8 septembre le successeur de Mussolini, le Maréchal Badoglio conclut un armistice avec les Alliés. Les Allemands déclenchent en fin de soirée le plan « ACHSE ». Ils envahissent alors totalement la zone côtière méditerranéenne, désarment leurs anciens alliés et prennent le contrôle absolu de la zone d’occupation italienne et bien sûr de la région toulonnaise. L’occupation allemande se fait sans coup férir. » [30] Les soldats italiens sont soit incorporés dans l’armée allemande, soit fait prisonniers et utilisés comme tels. Seuls quelques-uns rejoignent le maquis ou parviennent à rentrer chez eux.
Le rapport [31] adressé par le préfet du Var au ministre de l’Intérieur le 13 septembre 1943 permet de bien saisir les répercussions de la signature de l’armistice italien dans la région toulonnaise :
« A Toulon un certain nombre d’anciens miliciens fascistes a déclaré se rallier au nouveau gouvernement fasciste italien et coopérer avec l’armée allemande. Ces effectifs ont donc été séparés de la masse des soldats qui, considérés comme prisonniers, sont progressivement embarqués et emmenés. A peu près partout les mêmes scènes se sont produites : les Italiens, au cours de la nuit annonçant l’armistice ont d’abord distribué aux personnes qu’ils connaissaient dans la localité une certaine quantité de denrées (cigarettes, riz, épicerie…) puis nombre d’entre eux ont procédé à des sortes de ventes aux enchères pour le reste de leur matériel et notamment en plusieurs cas de leurs armes. A ce moment le pillage s’est en plusieurs endroits organisé : des Français appartenant aux catégories les plus diverses se sont précipités sur tout ce qui leur paraissait être des stocks italiens, et avec les moyens de transport dont chacun disposait, il y eut littéralement mise à sac…
Ollioules : Occupé par quelques Allemands depuis 8 jours, les Italiens ont été désarmés le 9 septembre au matin et conduits à la gare où ils sont parqués : 2000 environ… Avec la complicité de quelques habitants [32], plusieurs soldats italiens ont réussi à se procurer des vêtements civils et à s’évader dans la campagne. La plupart ont emporté des grenades à main et des pistolets automatiques. Un sujet italien habitant Ollioules depuis longtemps, soupçonné par la population de cette commune d’être pro-fasciste et d’avoir livré des Français aux Italiens, a été lynché par la foule et laissé pour mort…
A Sanary, au quartier de Sainte-Trinide, des armes auraient été jetées en vrac par les Italiens qui ont ensuite pris la campagne. Il est probable que des civils ont pu s’emparer d’une partie de ces armes…
Le Brusc : dans la journée du 9, les Italiens avaient formé les faisceaux, munitions aux pieds et ils étaient prisonniers sur parole. Dans l’après-midi ils erraient dans les champs, sans armes.
La Seyne : pas d’incidents notables. 400 fascistes irrédentistes ont été dirigés sur St-Mandrier, lieu choisi par les Allemands comme point de concentration des Italiens s’étant ralliés à la cause allemande. Ils ont été rejoints à St-Mandrier par des Chemises Noires venant de Tamaris et des Sablettes. Toutes ces opérations se sont déroulées dans le calme, mais il est plus que probable que des armes ont été récupérées en plusieurs endroits par la population civile dont une partie a aidé les Italiens à prendre la campagne en civil. Plusieurs groupes de ces fuyards se sont mis en route à pied, empruntant des chemins détournés pour gagner la frontière italienne… »
3.3. La seconde occupation allemande (septembre 1943 – août 1944)
Dès le début de septembre, la région de Menton à Carry-le-Rouet, est placée sous le contrôle du commandement maritime allemand de la Côte d’Azur et la défense aérienne de la région toulonnaise, assurée par la Luftwaffe, est renforcée. La 8e batterie du fort de Six-Fours reçoit 6 pièces de 88 mm Flak 36 pour la défense à haute altitude et 3 pièces de 20 mm Flak 30 pour sa défense rapprochée. Selon certaines sources, la garnison allemande de Six-Fours compte à cette époque 230 hommes environ [33]. Parallèlement la 242e Division d’Infanterie, assurant la relève de la division initialement installée dans le Var au moment du retrait italien, est déployée entre Bandol et Fréjus.
Avec cette seconde occupation allemande s’ouvre pour Six-Fours la période la plus sombre de son histoire pendant la guerre. De nombreuses habitations sont, à nouveau, réquisitionnées pour loger les troupes d’occupation. [34] Le ravitaillement devient de plus en plus difficile. A ces problèmes récurrents, s’ajoute la crainte des bombardements. En effet depuis la conquête de la Sicile et le débarquement dans le sud de la botte italienne, les alliés ont libéré Naples (1er octobre 1943) et aménagé des aérodromes à partir desquels il est désormais possible de mener des raids aériens sur les côtes méditerranéennes françaises. Le 24 novembre 1943 en début d’après-midi les alliés bombardent Toulon. L’effet de surprise est total pour la population. La batterie antiaérienne de Six-Fours, avec d’autres, ouvre le feu sur l’escadre de bombardiers mais sans aucune efficacité. [35]
On dénombre 450 morts et 700 blessés. Ce premier bombardement particulièrement dévastateur provoque un véritable traumatisme.
Les Allemands redoutent un débarquement allié sur les côtes varoises et accélèrent la mise en défense de la région. Début 1944, « une fièvre de fortification s’empare des Allemands » [36], s’accompagnant d’ordres d’évacuation. A Six-Fours, le maire tente bien de protester, mais en vain :
« En effet –– écrit-il début mars 1944 au délégué régional du service de protection contre les événements de guerre — si l’on s’adresse à la Kommandantur de Reynier, il vous est répondu que ça regarde la Kommandantur du Brusc, en s’adressant à celle du Brusc, il vous est répondu que ça ne les regarde pas, que c’est la direction du Génie qui a prescrit les évacuations ; si l’on se permet de demander où se trouve le Commandement du Génie, il vous est répondu : on n’en sait rien du tout !!! De ce fait une dizaine de familles ont dû quitter leur logement dans les 12 heures sur simple avis d’un sous-officier et parfois même un simple soldat sans que la mairie ait été prévenue. Mis au courant par les personnes touchées par l’ordre d’évacuation, j’ai ordonné à ces dernières de ne pas bouger sans avis de la Mairie, mais les Allemands ont dit aux habitants en question : le maire ne commande plus, c’est nous qui commandons. » [37]
Evacuations bientôt suivies de la destruction de nombreuses habitations. Fin mars 1944, le maire écrit au préfet : « …Ce matin 30 mars cinq nouveaux immeubles étaient détruits à la dynamite dont un avait encore une partie de son mobilier qui n’avait pu être enlevé du fait que la propriété était minée. L’ordre d’évacuation concerne environ le quart de ma commune et c’est 160 familles qui doivent évacuer formant au total une population d’environ 700 personnes. A la suite de la note parue dans la presse spécifiant que les évacuations ordonnées dans la région de Toulon devaient être terminées pour le 13 avril, nous nous sommes immédiatement mis en relation avec l’Etat-Major local qui a déclaré que tout cela ne les intéressait pas et qu’au grand maximum et pour certains cas particuliers, il pourrait donner tout au plus deux jours de délai supplémentaire. » [38]
Et quelques jours plus tard, le 12 avril, le maire constate : « sur toute la partie de la commune en bordure de mer, c’est-à-dire du hameau du Brusc à Sanary sur une profondeur de 1500 à 2000 mètres les Allemands appliquent le principe de la terre brûlée. Sur plusieurs centaines d’hectares règne une désolation abominable. Toutes les habitations détruites, tous les arbres coupés, les vignes et les arbres fruitiers arrachés. Les terres qui ont dû être abandonnées avec toutes les semences en terre sont situées dans la partie la plus productive de la commune, aussi la consternation est grande parmi les administrés. Les maisons sautent sans que la plupart du temps le maire en soit avisé et les propriétaires ne peuvent être alertés suffisamment à temps… Le 12 avril, ordre de la Kommandantur locale de rassembler les quatre équipes de STO destinées aux chantiers de Six-Fours sur la place de la mairie pour soi-disant changer de chantier. Or, vers 9 heures plusieurs cars de la société Gaby d’Hyères arrivèrent sur la place et tous les travailleurs embarqués pour une destination inconnue, les uns sans argent, les autres sans vêtement suffisant pour passer la nuit hors de leur domicile. Cette façon de faire devient intolérable et je ne vous cache pas Monsieur le Préfet qu’une colère sourde commence de grandir dans le pays. » [39]
Benjamin Vallotton, écrivain suisse, qui possède une propriété aux Lônes, sur la commune, assiste comme d’autres à la destruction du bord de mer, y compris de sa propre maison. Il écrit : « A force de dynamiter l’Europe, les opérants ont acquis une grande expérience. En un tournemain, la plus solide des maisons, victorieuse de l’usure des siècles, n’est plus qu’un éboulis fumant. Quatre charges d’explosif aux angles inférieurs, un fil électrique de l’une à l’autre, le geste d’un doigt, à bonne distance, pour établir le contact et la demeure des hommes se soulève et s’affaisse… Dès lors les destructions marchent grand train. Chaque jour de sourdes explosions annoncent au loin que des maisons, par dizaines, ont passé de vie à trépas. Sur des kilomètres de la Reppe aux environs de Reynier jusqu’au sommet des collines, la dévastation s’étend. Ce paradis d’arbres, de jardins, de cottages souriants, de mas heureux assis entre aire et citerne, n’est plus qu’un cimetière de pierres, de poutres calcinées, de tuiles pulvérisées sur une terre pelée. On ne vide plus les maisons. A quoi bon ! » [40]
De la mer jusqu’à l’intérieur des terres, les champs sont systématiquement minés. « Les Allemands –– écrit Jacques Verd [41] à propos des mines — les perfectionnèrent et en inventèrent de différents modèles, les unes allongées, d’autres rondes ou en forme de calebasse, le dessous renflé, etc. chacune ayant sa destination ; les grosses, anti-chars; les petites contre les piétons, sensibles même aux pattes d’animaux. Ces engins… n’étaient pas cachés au hasard ; ils dépendaient d’un plan général, et chaque champ avait son tracé propre… Ces plans comportaient des pièges qui consistaient à enfouir plus profondément une mine, à en placer une seconde au niveau des autres, de façon qu’il pût toujours en rester une pour exploser… Les espaces minés étaient signalés par des barbelés et une pancarte : Achtung Minen — Attention mines — et le dessin d’une tête de mort. Il y eut nombre de tués, gens qui tentaient de cueillir des fruits, de couper de l’herbe pour les lapins, ou simplement qui croyaient prendre un raccourci pour leur chemin. »
Plusieurs personnes sont ainsi grièvement blessées ou tuées à Six-Fours. C’est le cas par exemple de M. Rodiac, tué le 16 avril 1944 par une mine au quartier Grand Camp, ou encore de M. Spérandéo, tué le 17 mai sur la route de la Coudourière. Le 19 juin, la commune de Garéoult fournit quinze requis au STO par les autorités allemandes pour effectuer des travaux sur la côte. L’éclatement d’une mine fait parmi eux 3 morts et 4 blessés graves. [42]
Tandis que les Allemands cherchent fébrilement à assurer leur défense, les alliés multiplient les raids aériens sur la région toulonnaise.
Le 11 mars 1944, pour la quatrième fois, la ville est bombardée par des avions américains Super-Forteresses B17 et Libérators B24 ; 71 personnes sont tuées et 130 blessées. A Six-Fours, 20 bombes tombent dans la campagne, blessant 4 civils, 7 d’entre elles atteignent la batterie allemande de projecteurs de Cambaud, tuant dix soldats allemands. Un avion allemand est abattu par les avions d’escorte de la formation américaine de bombardiers. Il parvient à atterrir dans un champ miné entre la route du Brusc et le quartier de Répentance. [44]
Le 29 avril 1944, pour la cinquième fois, Toulon est bombardé par 573 quadrimoteurs (B24) déversant 1312 tonnes de bombes sur la région. 67 morts et 62 blessés sont dénombrés en ville, 129 tués et 65 blessés à La Seyne. « Toute notre famille – note Jacques Verd — regardait dans l’azur du ciel de l’Est, le lancement des projectiles sur nos voisins de Toulon et La Seyne. A peine distinctes, apercevait-on, ces batailles et les petits nuages blancs des tirs de la DCA. Tout à coup une escadrille se sépare de la masse, puis vole au-dessus de la chapelle du Mai. Exclamations : oh ! on dirait qu’elle va attaquer Le Brusc. » [45]
Une trentaine de bombes tombent à Six-Fours, atteignant plusieurs maisons dont une villa du quartier des Lônes où étaient logés des employés civils des troupes d’occupation. Six personnes sont tuées [46]. Six bombes tombent sur le quartier de la Coudourière, n’occasionnant aucune victime. En revanche pendant le bombardement, trois civils et deux militaires allemands quittent la route et pénètrent dans un champ miné. Un engin explose, tuant une personne [47] et en blessant quatre autres. Le lendemain un incendie consécutif au bombardement, semble-t-il, se déclare quartier Curet-Bas [48] nécessitant l’intervention d’une cinquantaine de personnes avant d’être maîtrisé. Quelques jours après, un cadavre est découvert dans les décombres d’une maison [49]. Au total, le bombardement du 29 avril 1944 aura donc provoqué la mort de 8 personnes à Six-Fours.
Peu avant le débarquement, lors du huitième bombardement de Toulon, des bombes tombent au Brusc sans faire de victime.
Au cours des mois de mai, juin et juillet 1944, les évacuations et les destructions ordonnées par les Allemands s’amplifient. [50] Un premier bilan réalisé fin mai 1944 indique que plus de 1500 personnes (sur une population d’environ 4500 personnes) ont été évacuées à cette date. [51] En juin, 600 personnes vivant dans la région du Brusc sont à leur tour concernées. [52]
Alors que les Allemands s’attendent au pire après le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie et la libération d’une partie du territoire français[53], l’espoir renaît au sein de la population varoise. La Résistance se prépare à participer aux combats de la libération du sol national. Peu visible et pour cause ! Elle n’est pas absente cependant de la région six-fournaise.
Un exemple de l’activité des résistants FFI dans le secteur La Seyne-Six Fours
Le rapport de Jean Klimoff [54], né en 1896, exploitant forestier à La Seyne et chef d’un des groupes Koutouzoff, donne un aperçu de cette activité. « Engagé volontaire dans l’armée française le 5 septembre 1939, je suis parti pour le front d’où je suis retourné chez moi le 29 août 1940…Lorsque les troupes italiennes occupèrent le sud de la France, nous avons commencé à faire de la propagande parmi les troupes d’occupation. J’avais avec moi MM. Campana, Scatena, Sienkoviez et Bacchi Aprile. Nous n’avons pas pu réussir car Campana et Scatena ont été arrêtés et envoyés en Italie. Moi-même, sous la surveillance des fascistes, je fus obligé de me camoufler dans les bois. Lors de l’arrivée des Allemands, commença mon travail parmi les troupes allemandes. Je pénétrais dans les blockhaus et les fortifications. J’organisais en premier lieu les Polonais. Ensuite lors de l’arrivée des Arméniens et des Russes incorporés de force dans l’armée allemande (1943), je me suis efforcé de les grouper et cela ne fut pas aisé. En 1944 ils ont commencé à me fournir des armes dans toute la région de La Seyne (fusils, grenades, lance-mines, mitrailleuses et pistolets). Toutes ces armes ont été camouflées entre La Bonne Mère et Le Brusc, sous la surveillance des hommes déserteurs de l’armée allemande. Dès le 4 avril, tous ces hommes ont été ravitaillés à mes frais jusqu’à la fin des combats.
Le 4 avril j’ai été arrêté par la Gestapo, signalé par 4 miliciens de La Seyne, tous de nationalité française… J’ai été passé à tabac, coups de crosse de fusil et de nerf de boeuf sur tout le corps par un Alsacien qui était de la Gestapo… Le reste me fut donné à Brégaillon et à Saint Jean du Var. Je devais être fusillé le lendemain matin 8 avril. J’ai été sauvé par des fascistes qui m’ont signalé aux Allemands comme collaborateur. Ils ont démontré que j’étais souvent avec des Allemands auxquels je tenais des discours. Mais ils se trompaient. C’étaient des Russes et des Arméniens incorporés dans l’armée allemande. J’ai été relâché à 7 heures du soir le 7 avril.
Le 15 juin, j’ai commencé à fournir des armes aux FFI de Six-Fours (quartier Tallian), Le Brusc et La Sardine. A cette même date, j’ai fourni des armes aux FFI de La Seyne, notamment des mitrailleuses et des grenades, ainsi que les plans de toute la côte qui devaient permettre le bombardement précis des pièces lourdes des blockhaus. Ces plans ont été remis au lieutenant Richaud et ont été envoyés à Alger.
Nos 450 hommes recrutés dans le secteur de La Seyne ont livré de violents combats à la batterie de Pierredon. Ils ont participé aux combats de la libération (attaque du fort de La Seyne en collaboration avec Pichauf, chef FFI de La Seyne). »
4. La Libération de Six-Fours la Plage (journées du 6 au 26 août 1944)
Dans les premiers jours d’août 1944, les alertes aériennes sont de plus en plus fréquentes : « nous vivons en alertes, elles se succèdent à raison de 4 ou 5 par jour. » [55] On s’attend à un débarquement imminent sur les côtes méditerranéennes.
Journées du dimanche 6 au dimanche 13 août : préparatifs
Dimanche 6 août 1944. Violents bombardements sur la région Toulon et La Seyne. Un avion touché par la DCA lâche ses bombes sur Roumagnan. Autour des abris, les éclats tombent un peu partout. [56] Ce même jour un obus de Flak non éclaté retombe au quartier Guigon ne faisant ni victime ni dégât. [57]
Du lundi 7 août au samedi 12 août. Les alertes se succèdent. Des abris sont construits dans le village (abris souterrains recouverts de planches et de terre). Les objectifs sont les voies ferrées, les routes principales et les batteries côtières. « Depuis quelques jours les bombardements sont plus nombreux. On sent qu’un débarquement se prépare, mais où ? La population du village est réduite. Beaucoup de familles ont été évacuées. Avec la famille Zurletti nous avons creusé une tranchée que nous avons couverte de tôles et de madriers. » [58]
Dimanche 13 août. A partir du 13 août, trois groupes de combats aériens de la 15e Air Force venant du sud de l’Italie rejoignent la Corse (région sud de Bastia – Aghione). Ces unités sont équipées de bombardiers bimoteurs en piqué Lightning P38 [59] qui vont harceler les positions ennemies par des frappes plus précises. [60] Les objectifs militaires sont particulièrement visés. Onze bombardiers Marauder du 319e Bomber Group prennent pour cible les batteries de Pierredon et de La Baou à Sanary. On dénombre 9 morts dans une ferme à La Baou où la famille s’était réfugiée dans la cave. La soirée s’achève par d’incessantes alertes, il faut rester près des abris. Des matelas sont utilisés pour passer la nuit sur place.
Journées du lundi 14 au lundi 21 août : débarquement et contournement de Toulon
Lundi 14 août. Les Allemands demandent à ce que tous les hommes valides de 16 à 60 ans soient recensés en vue de travaux à leur faire exécuter. Le maire de Six-Fours refuse ce recensement, il est arrêté et emmené à la Kommandantur où il restera jusqu’à 17 heures. Alertes sur alertes, la région est constamment survolée par des avions, les Six-Fournais ne peuvent guère s’éloigner de leurs abris. « Les évènements se précipitent depuis trois jours. Nous sommes constamment en alerte, avec de temps en temps des bombardements qui durent une ou deux heures. » [61] En fin d’après midi des avions de reconnaissance de la Luftwaffe repèrent des convois de navires près de la Corse faisant route vers le continent. Le fort de Six-Fours est mis en alerte dans la soirée.
Mardi 15 août. Débarquement des forces alliées entre Le Lavandou et St-Tropez. L’opération Anvil-Dragoon, prévue dès la conférence de Téhéran en novembre 1943, se compose de la 7e Armée Américaine commandée par le général Patch et comprend également l’Armée française B commandée par le général de Lattre de Tassigny (cinq divisions d’infanterie et deux divisions blindées). Le dispositif comporte 600 bateaux de transport, 1270 péniches et 250 navires de guerre. 2000 avions sont engagés. Le soir du 15 août, deux têtes de pont sont assurées et 100 000 hommes débarqués. L’armée B de de Lattre ne débarquera que le lendemain. A Six-Fours : « Nous avons eu une nuit tourmentée avec de nombreux coups de canons et avions. Les gens quittent Reynier pour aller dans les bois avec des baluchons de toutes sortes. Ce matin nous avons consolidé l’abri. » [62]
Mercredi 16 août. « Les bombardements en piqué avec des appareils anglais à double fuselage [63] qui apparaissent brusquement dans le ciel, piquent sur leur objectif de trois ou quatre directions différentes. Nous avons très bien vu la manoeuvre, surtout de notre emplacement de l’hôtel du Rayon du Soleil. On a très bien vu les éclatements de bombes, tous les emplacements de batteries qui se trouvent par là ont été arrosés, le tir est beaucoup plus précis, on se sent moins en danger qu’avec les bombardiers lourds, malgré cela ils n’ont pas atteint tous leurs objectifs et on doit rester sur la porte de l’abri pour y rentrer dès que nécessaire. Cette séance a duré toute la matinée et une grande partie de l’après-midi. » [64] Vers 14 heures, un de ces bombardiers en piqué, le Lightning P38 du major Franklin Robinson, est abattu, il s’écrase au quartier Brunette à l’entrée de Reynier. [65]
Jeudi 17 août. « Dans la nuit nous sommes réveillés par des explosions d’obus, les premiers tombent au Verger. Nous partons vite ma mère et moi à la tranchée et nous assistons au pilonnage du fort par un torpilleur situé au large. On entend passer des avions toute la nuit. » [66] Grosses explosions entendues depuis Six-Fours dans l’après midi : les Allemands font sauter les installations portuaires à Toulon et La Seyne.
Vendredi 18 août. La DCA du fort tire sur trois vagues successives de bombardiers moyens Marauder B26 qui visent les objectifs situés sur la presqu’île de Saint-Mandrier et en particulier les batteries à longue portée de Cépet (deux tourelles doubles de 340).
Samedi 19 août. Vers 11 heures, nouvelle attaque des bombardiers sur Saint-Mandrier par vagues de trois ou quatre formations de Marauders. Le B26 n°77 de l’escadrille « Franche Comté » est abattu en fin de matinée devant Sicié. Les six hommes de l’équipage [67] commandé par le Capitaine Lasnier-Lachaise réussissent à sauter en parachute et regagnent la côte où ils sont fait prisonniers par les Allemands et emmenés dans la chapelle de Notre-Dame du Mai qui servira de prison. Transférés le lendemain au fort Saint-Antoine, ils seront libérés le 23 Août [68]. Mitraillage en rase-mottes de la route Bandol-Sanary jusqu’au garage des autocars à l’entrée de Sanary. « Notre situation a encore empiré, nous sommes constamment bombardés par les avions. Hier et aujourd’hui, pendant le repas de midi, nous avons dû aller cinq fois dans l’abri. Les bateaux de l’escadre sont venus plusieurs fois bombarder les batteries côtières que les Allemands ont installées en grand nombre un peu partout. » [69]
Dimanche 20 août. « La nuit a été agitée, pendant mon heure de quart de 11 heures à 1 heure, il y a eu des tirs de canons lourds presque constamment. Vers 7 heures 15, la canonnade commence au loin puis se rapproche peu à peu, il s’agit certainement de grosses pièces de marine tirant du large vers nous et les coups doivent atteindre sous la Bonne Mère du Mai, certainement dans la direction de la batterie de Peyras qui était équipée de grosses pièces. On voit une énorme poussière de ce côté là. Au début de l’après-midi gros bombardement aérien probablement sur Six-Fours. Une grosse fumée s’élève… » [70]
Lundi 21 août. Après avoir contourné Toulon par Méounes puis Le Beausset, les troupes de Libération (7e Régiment de Chasseurs d’Afrique du colonel Van Hecke) se dirigent vers Bandol et Sanary par la route du Plan du Castellet. Le peloton Gastines reçoit l’ordre de reconnaître Bandol et Sanary mais il est arrêté par la destruction du viaduc. Le peloton Caniot reçoit l’ordre d’atteindre Sanary par l’intérieur du pays et se dirige vers le château de la Millière.
« Nous apprenons — écrit le lieutenant Caniot — que l’énorme fort de Six-Fours possède une puissante artillerie de marine servie par plusieurs centaines d’hommes aux ordres d’un colonel. Le fort de Six-Fours domine l’ensemble du haut de ses 210 mètres. Nous voyons, nous-mêmes, à la jumelle, des silhouettes qui se profilent sur les superstructures de l’ouvrage. » [71] Revenu au pont d’Aran le peloton Caniot casse la croûte lorsque, « vers 14 heures, Six-Fours et ses batteries se déchaînent sur les positions échelonnées du 2e peloton sur le pont d’Aran et sur le carrefour du viaduc de Bandol. Sous le déluge de feu et de fer, les éléments du peloton changent rapidement de position. » [72]
A Sanary : « Dans la matinée on apprend que les Spahis français sont à la Millière (Nord-Est de Sanary), c’est confirmé par la suite. Ils y seraient venus en reconnaissance avec trois petits chars et se seraient heurtés à la batterie allemande de Pierredon. » [73]
A Six-Fours : « Ce matin – note Paul Guion – j’ai trouvé à Reynier la famille B. en train de préparer leurs paquets pour se rendre à Guigon. Pierre disait que 200 tanks étaient sur la route de Sanary, que la « Résistance » s’était emparée de la mairie de la Seyne. Le soir, quand ils sont arrivés, ils nous ont raconté que la mairie de Reynier avait été prise par la « Résistance », pour la plupart des jeunes de 16 à 20 ans. Ils ont tiré des coups de revolver sur les Allemands. » [74]
Journées du mardi 22 au dimanche 27 août : libération de Six-Fours
Mardi 22 août. « Vers 8 heures, la « Résistance » a attaqué Six-Fours avec des revolvers, les Allemands ont riposté avec quelques rafales de mitrailleuse et un coup de canon. Suite aux actions de la « Résistance » à Six-Fours « Les Allemands, par représailles, ont fait ce matin ouvrir le feu sur Reynier, la maison du docteur, l’église, la Mairie et le quartier vieux ont été touchés, la maison des B. également, il y a eu pas mal de blessés Les mairies de La Seyne et Reynier ont été à nouveau occupées par les Allemands. Depuis ce matin, la canonnade n’a pas cessé, en ce moment un bâtiment tire du large sur Six-Fours. » [75]
« Coups de canon sur le village. Vers 11 heures j’entends une explosion et des obus passer au dessus de ma tête. Je m’allonge contre un muret. D’autres obus tombent sur Reynier. Les obus de petit calibre atteignent l’église, la maison de Madame Gally, place de la mairie où Monsieur Féraut est blessé par des éclats, la maison du docteur et la maison place des Poilus près de la boulangerie. » [76] Maître Granet signale la veille que « la chapelle du Mai était en flammes. »
Vers 11 heures, les batteries de Six-Fours et de la Tourelle prennent à partie le PC du 7e Régiment de Chasseurs d’Afrique du colonel Van Hecke installé à l’usine électrique du pont d’Aran. Huit hommes sont blessés et des véhicules sont détruits. Au pied du Gros Cerveau, quartier de Sainte-Ternide, un élément d’observation du 2e Spahis découvre, vers 16 heures, un câble électrique courant dans les vignes. Le câble est coupé et le fort de Six-Fours ne reçoit plus d’informations concernant les réglages de tirs en provenance du Gros Cerveau. Les tirs deviennent imprécis puis s’arrêtent. Les obus cessent de tomber sur le Val d’Aran. [77]
Mercredi 23 août. A Six-Fours, « la nuit a été relativement calme, mais à la pointe du jour, ce sont les navires qui ont recommencé à tirer leurs gros obus et la canonnade a repris de plus belle… Les alliés sont à La Seyne et la journée sera chaude pour Reynier que tous les habitants ont quitté, quelques-uns depuis quinze jours, pour vivre dans les bois. La canonnade a duré tout le jour, l’après-midi, un navire a de nouveau tiré sur Six-Fours qui a été à nouveau atteint, mais le soir, de 9 à 10 heures, il a repris son tir sur une batterie de La Cride. » [78]
Le peloton du lieutenant Caniot, dans la matinée, installe son PC à la Millière à Sanary. Aidé par deux parlementaires, M. Muhlethaler, citoyen suisse, et M. Roethlisberger, un Français qui se fait passer pour suisse (son fils est mort sur le front français en 1940), ils ont l’intention d’entrer en rapport avec les commandements ennemis du secteur. « Le Fort de Six-Fours a une position trop solide pour capituler le premier. » [79] Les Allemands des batteries du Colombet et de Pierredon se rendent.
« Des obus passent au dessus de nos têtes, tirés de Sanary vers le fort du Peyras, sans nous déranger dans nos occupations. » [80]
Jeudi 24 août. « Ce matin une batterie, située à sanary, a tiré plusieurs coups au but sur Six-Fours, mais ce fort est tellement bien construit qu’on ne pourra le détruire que par la mer. Quelques quartiers ont été touchés par des tirs mal réglés. A Reynier il paraît que c’est pavoisé de partout, mais les alliés ne sont pas encore là. Le pillage a commencé dans les postes abandonnés par les Allemands. Marcel B. est allé à Sanary qui est occupé par les Français et les Sénégalais, seulement Le Brusc qui est toujours occupé tire sur Sanary. » [81]
La batterie de la Cride se rend à 20 heures après discussion entre le commandant allemand et le colonel Van Hecke réunis à l’Hôtel de la Tour à Sanary. Les parlementaires helvétiques prennent contact avec le colonel commandant le fort de Six-Fours qui accepte le principe d’une reddition avec le colonel Van Hecke.
Vendredi 25 août. A Six-Fours,« la nuit dernière a été une des plus mauvaises que nous ayons passée, nous sommes restés tout le temps dans l’abri, une batterie tirait toutes les heures une rafale d’obus de Sanary sur Six-Fours, cela faisait un bruit effroyable qui durait un quart d’heure. Il paraîtrait que les Alliés ont envoyé, ce matin, des parlementaires à Six-Fours pour les inviter à se rendre. La nuit dernière, A. est allé coucher dans un abri que les Allemands ont abandonné à Cambaud, il en a rapporté cinq caisses de biscuits qu’il a distribués. » [82]
Dans l’après midi, le colonel Van Hecke, accompagné des parlementaires helvétiques, se rend au Fort pour négocier la reddition. La garnison allemande du fort accepte de capituler le 26 août à midi, après avoir détruit son matériel de guerre dans la matinée.
Samedi 26 août. A 9 heures des explosions secouent le village, suivies d’un épais nuage de fumées noires résultant de la destruction des 6 pièces d’artillerie (Flak de 88mm) et des réserves de munitions.
Deux jeeps se présentent devant le fort dont celle du brigadier Godet, la voiture « Rochelle » servant de « guide ». La veille il accompagnait les parlementaires et écrit dans son témoignage : « Il fut décidé que le colonel Van Hecke se présenterait à 11 heures pour recevoir la reddition des forces allemandes… A l’heure prévue, le colonel Van Hecke se présenta devant la porte du fort qui avait été ouverte. A côté de moi au premier rang notre ami suisse et le colonel allemand, tendant son revolver au colonel français qui lui prit des mains et se retournant vers moi, me le donna… » [83]
Le colonel Van Hecke est également accompagné par son chauffeur, le chasseur Mouraret, à qui il donnera le poignard de l’officier allemand. [84] A midi, les spahis du lieutenant Caniot sont sur l’esplanade devant le fort. Les soldats allemands, officiers en tête, dans une tenue impeccable, sortent des murailles du fort.
« Six-Fours s’est rendu, nous avons vu de La Conque les voitures des parlementaires, monter et descendre, Les Allemands ont demandé à détruire eux-mêmes le fort, nous avons entendu d’abord 4 détonations qui ont ébranlé la maison, ensuite une quantité d’autres moins fortes, c’était un spectacle inoubliable : des nuages de fumée noire, des étincelles qui ont mis le feu à tous les bois des alentours, cela a duré une demi-heure de 9 heures à 9 heures et demie. On entend à chaque instant des détonations. Il y a encore quelques batteries qui résistent dans les environs. Nous avons vu, après midi avec les jumelles, défiler les prisonniers du fort, ils devraient être 2 à 300. Nous n’avons plus d’électricité depuis quinze jours et aucune nouvelle de l’extérieur, pas de journaux. » [85]
Vers 16 heures, les pelotons Martin et Mars du 3e escadron du Régiment d’Infanterie Coloniale Marocaine, en provenance de Sanary, arrivent au carrefour du Pont du Brusc. Le peloton Mars tourne à droite en direction du Brusc jusqu’au Gaou pour procéder à la reddition de la batterie de la pointe Gueulois occupée par les Allemands. A 17 heures, 3 officiers et 212 artilleurs de marine se rendent et sont escortés comme prisonniers en direction de Sanary. Un civil croit reconnaître parmi les matelots les assassins de sa mère, les suspects sont mis à l’écart. Cette affaire est rapidement réglée sur la plage du Cros.
A la même heure les 2e et 3e Escadrons de Reconnaissance de chars légers du RICM dépassent Reynier en direction des Sablettes et sont accrochés à hauteur du Pas du Loup. Une patrouille du 1er Escadron se rend à Janas pour parlementer et demande au commandant du fort de Peyras une reddition immédiate. Pendant cette journée une mission est confiée au colonel Voillemin commandant le 13e Régiment de Tirailleurs Sénégalais : nettoyer la presqu’île de Sicié. Le 3e Bataillon du 13e Régiment de Tirailleurs Sénégalais stationne à Six-Fours en fin d’après midi. [86]
« Beaucoup de soldats sénégalais sont camouflés dans les cyprès du jardin Cautelier, quartier Antelme. Un officier nous conseille de ne pas les faire boire. Ils en ont assez de manger des conserves et demandent à manger de la soupe. » [87]
Dimanche 27 août. « La nuit a été assez calme sauf un engagement d’artillerie vers 10 h du soir et un autre à 5 h du matin. Nous sommes allés dîner à Reynier qui est en liesse. Ce sont des Français et des Sénégalais accompagnés d’un grand nombre de voitures blindées et de chars d’assaut qui occupent la commune. Nous sommes enfin tranquilles sans dégât. » [88]
« C’est la Libération ! Vers 11 heures je descends dans Reynier où il y a une grande effervescence, des camions chargés de soldats. C’est la grande joie pour tous… Distribution de viande de cheval à tous. » [89] « Nous montons au fort prendre livraison de chevaux pour le démarrage de l’agriculture et le ravitaillement du pays. » [90]
A midi, le Général de Lattre de Tassigny entre officiellement dans Toulon libéré.
5. Les Lendemains de Libération et le bilan
Dès la libération de la commune, le 26 août, le Comité Local de Libération prend le pouvoir abandonné « par le conseil municipal vichyssois » note un rapport de police le 12 septembre 1944. [91] « Les tendances politiques du comité sont plus avancées que celles de l’ancienne municipalité [élue en 1935]. Mais cela répond aux sentiments de la population qui approuve la désignation de ses nouveaux administrateurs. » [92]
Le 19 octobre 1944, un arrêté signé du préfet du Var Sarrie installe la Délégation Municipale Provisoire dont le président est Léon Laffont. La séance inaugurale se tient le 25 octobre 1944 sous la présidence de Robert Parent, délégué par Léon Laffont, empêché dans ses nouvelles fonctions.
Le 19 novembre 1944, un arrêté instaure la Délégation Municipale avec comme président Robert Parent. Il sera élu maire aux élections de mai 1945.
Aux élections de 1947, Eugène Montagne, maire de 1935 à 1941, sera de nouveau élu maire de Six-Fours. Il le restera jusqu’en 1965.
Le bilan de la guerre paraît difficile à établir avec certitude. Sur le plan matériel, un rapport établi par la mairie en décembre 1944 [93] fait état de 235 immeubles détruits par les autorités allemandes. Les quartiers de Bellevue, des Hoirs, Sauviou, Cabry, Puirat sont entièrement détruits.
Sur le plan humain, les résultats de l’enquête réalisée en 1949 sur l’histoire de l’occupation et de la libération du département du Var et transmise dans chaque commune, donnent les chiffres suivants pour Six-Fours : 20 morts pour faits de guerre [94], 88 prisonniers de guerre au total. Parmi ces prisonniers, 27 sont rentrés avant la fin du conflit, 57 après la capitulation allemande (mai 1945), 4 sont morts en captivité dont 2 en Allemagne. 12 jeunes Six-Fournais ont été déportés en Allemagne au titre du STO. [95]
- [1]. On ne lira pas ici une histoire exhaustive de la commune de Six-Fours durant la seconde guerre mondiale. Seuls quelques éléments sont évoqués. A chaque fois que cela a été possible, les documents originaux ont été cités afin de donner la parole aux acteurs et aux témoins de cette période dramatique.
- [2]. J-M GUILLON. 1994.
- [3]. Archives Communales de Six-Fours, cote AC 2D48.
- [4]. AC 4H17.
- [5]. AC 4H16-AC 4H 18.
- [6]. Eugène Montagne (1886-1969) est maire de Six-Fours de 1935 à 1941 puis de 1947 à 1965. L’école communale de la Coudourière qu’il inaugure en 1936 porte aujourd’hui son nom.
- [7]. Archives Départementales, cote AD 1W53.
- [8]. Stèle au village de Rocbaron.
- [9]. Revue Batailles Aérienes, n° 11, janvier 2000.
- [10]. Dans les AC, cote 4H25, on note : décédé le 14 juin 1940.
- [11]. Voir Annexe I.
- [12]. AD 1W53.
- [13]. AD 1W53.
- [14]. AD 1 W53 : Composition de la municipalité: maire : Marquand Jules ; 1°Adjoint : Caire Camille. 2e Adjoint : Tubert Louis. Conseillers municipaux : Boyancé Paul ; Cautellier André ; Curet Célestin ; Fournier Vincent ; Guion Paul ; Guiraudenc Jean ; Mme Jouglas Sylvia ; Lartigue Jean ; Le Dennat Joseph ; Morland Calixte ; Ravel Ernest ; Relu Léonce ; Turcan Félix ; Hugues Baptistin ; Cretin Jules.
- [15]. AD 1W53.
- [16]. AD 2W30.
- [17]. Victor MASSON .1983.
- [18]. Jean-Marie GUILLON. 1994. Voir aussi : Sanary, 2005, p.357 et sq.
- [19]. Pour ces événements, voir Cahier du Patrimoine Ouest Varois, n°10. 2004.
- [20]. AC 4H57.
- [21]. AC 4H81.
- [22]. AC 4H85.
- [23]. AC 4H81.
- [24]. Voir aussi Cahiers du Patrimoine Ouest Varois, n° 10, Sanary, page 360.
- [25]. Michel Cruciani, 1987. Saibène, 1992.
- [26]. AD 1W53.
- [27]. Réquisitions prises en parallèle avec Sanary (plan d’évacuation daté du 6 avril 1943). Voir Cahier du Patrimoine Ouest Varois, N° 10 , pp. 364-365.
- [28]. AD 1W66.
- [29]. AD 2W31.
- [30]. Michel Cruciani , 1987. Saibène, 1992.
- [31]. AD 1 W 63.
- [32]. « Avec des vêtements civils donnés par la population à la demande de la Résistance. » Témoignage de M. Jacques Martina-Fieschi : Cahier du Patrimoine Ouest Var, n°7 – Ollioules
- [33]. Michel Cruciani. 1987 : « à la fin du mois de novembre 1943 la défense aérienne de la place toulonnaise comprend 12 batteries représentant une puissance de feu considérable, soit 4 tubes de 100 mm, 38 ou 39 tubes de 88 mm, 13 de 37 mm et 7 de 20 mm. La plupart des batteries sont alors équipées du fameux 88mm Flak 36 pouvant être tout aussi bien utilisé, et avec une remarquable efficacité, contre les avions volant à haute altitude (4000 m et plus) que contre les chars, il peut également servir de canon de campagne ou de batterie côtière… Pour accroître les chances de succès, les 88 mm sont groupés la plupart du temps (comme c’est le cas pour Six-Fours) par batterie de 4 ou 6 pièces… En règle générale le 88 mm Flak tire des projectiles fusants dont l’éclatement détruit un appareil dans un rayon de 10 mètres et peut gravement l’endommager dans un rayon de 180 mètres par la projection de quelques 1500 éclats. »
- [34]. AC 4H 84.
- [35]. Michel Cruciani, 1987.
- [36]. Michel Cruciani, 1987.
- [37]. AD 1W66.
- [38]. AD 1 W 95.
- [39]. AD 1W 5.
- [40]. Benjamin VALLOTTON. 1945. p.186.
- [41]. Jacques VERD. 1945. p.120.
- [42]. AC 4H55. Après la libération, les opérations de déminage, faute de matériel de détection, prendront beaucoup de temps et seront assurées en grande partie par des prisonniers (allemands ou polonais) volontaires. Elles feront de nombreuses victimes.
- [43]. AD 1J art 68-2. Fonds Victor Masson.
- [44]. Témoignage de Jacques Chabert. 1997.
- [45]. Jacques VERD. 1945.
- [46]. Giacomin Albert, demeurant quartier Sainte-Anne à Toulon, âgé de 23 ans. – Gibelin Marcelle du quartier Antelme à Six-Fours, âgée de 17 ans.- Merlane Catherine épouse Gottoli, âgée de 44 ans, du quartier Peyret à Six-Fours.- Nègre Fortuné âgé de 20 ans du quartier Saint Roch à Sanary.- Duman Charles âgé de 32 ans.- Pitot Marguerite, de Lyon, décédée à l’hôpital de La Seyne.
- [47]. Serraglini Hector âgé de 24 ans.
- [48]. AD 2W59.
- [49]. Rosini Pierre, né en 1925 à Nice.
- [50]. Le 23 mai 1944 le général Blaskowitz assurant le commandement du groupe d’armée G et l’amiral Ruhfus inspectent le secteur Cote d’Azur. Voir à ce sujet Cahier du Patrimoine Ouest Varois N°10.
- [51]. AD 1W67.
- [52]. Le 17 juin les Allemands font sauter la jetée au Brusc. Depuis le début de l’année, des tranchées ont été creusées dans le secteur de La Citadelle par les prisonniers italiens et des Français réquisitionnés, des mines antichars ont été placées sur le chemin du Gaou notamment, dans l’attente d’un débarquement éventuel. Témoignage de monsieur Emile Dodéro (2006), disposant des notes prises par son oncle, Marius Dodéro, au jour le jour durant la guerre.
- [53]. AD 37J. Un officier allemand analyse la situation côté allemand. (Voir Annexe III).
- [54]. AD 1. J. Art 68. Rapport certifié exact par le capitaine Salvatori, chef FFI, Toulon.
- [55]. Témoignage écrit de Paul Guion, adjoint au maire de Six-Fours. Septembre 1944.
- [56] Témoignage de Paul Guion.
- [57] AD 1W82 : lettre du maire de Six-Fours au préfet.
- [58] Témoignage écrit d’Yves Répetto. 2005.
- [59] Que les Allemands appellent Gabelschwanzteufel : diable à deux queues.
- [60] Rapports de missions 14e FG, National Archives, Wachington DC.
- [61] Témoignage de Paul Guion. 1944.
- [62] Témoignage de Paul Guion.
- [63]. Lightning P-38, souvent décrit par les témoins comme avions britanniques à deux queues.
- [64]. Témoignage de Maître Granet, notaire à Sanary. 1981.
- [65]. Voir annexe II : Document sur le major Franklin L. Robinson.
- [66]. Témoignage d’Yves Répetto.
- [67]. En réalité 7 hommes, le colonel commandant la 34e escadre s’était joint à eux.
- [68]. Daniel DECOT, “Le débarquement”- dans Revue Icare, n° 111, 1982, Tome III.
- [69]. Témoignage de Paul Guion.
- [70] Témoignage de Maître Granet évoquant l’intervention des bateaux des forces Alliées.
- [71]. Journal de marche du 4e Escadron de Reconnaissance du 2e Régiment de Spahis Algériens – 2e Peloton du Lieutenant Caniot.
- [72]. Témoignage du Lieutenant Caniot.
- [73]. Témoignage de Maître Granet.
- [74]. Témoignage écrit par Paul Guion.
- [75]. Témoignage écrit par Paul Guion.
- [76]. Témoignage d’Yves Répetto.
- [77]. Gaujac Paul. 1984 – pp. 300 à 309.
- [78]. Témoignage écrit par Paul Guion.
- [79]. Témoignage du lieutenant Caniot.
- [80]. Témoignage d’Yves Répetto.
- [81]. Témoignage écrit par Paul Guion.
- [82]. Témoignage écrit par Paul Guion.
- [83]. Témoignage de Jacques Godet. 1994.
- [84]. Témoignage de Monsieur Mouraret, cité par Michel CRUCIANI. 1987. p 246.
- [85]. Témoignage de Paul Guion.
- [86]. Paul Gaujac. 1984. pp. 300 à 309.
- [87]. Témoignage d’Yves Répetto.
- [88]. Témoignage écrit par Paul Guion.
- [89]. Témoignage d’Yves Répetto.
- [90]. Témoignage du brigadier Aimé Long : AD 1W53.
- [91]. AD 1W53.
- [92]. AD 1W53. Composition du Comité local de libération constitué le 26 août : Président : Preneel Alfred. Membres : Blanc Eugène ; Bergala François ; Bruna Gustave ; Cassabel Léon ; Delgrossi Louis ; Girard Eugène ; Long Aimé ; Mace André ; Roy Jean ; Simian Louis ; Turcan Joseph.
- [93]. AC 4H 50.
- [94]. Liste des personnes décédées : Ainardi Jean. Alibert Elisa. Berne Lucien, soldat de 2e classe. Prisonniers de guerre : Cautelier Léon. Coullet Simon Célestin, soldat au 9e Régiment de Tirailleurs Marocains. Dubey André-Pierre, soldat 6e C.A.A. Fouque Bienvenu, STO. Guido François, sergent. Guillaume Jean, sergent FTP. Rame Fernand, caporal-chef. Robert Jean, capitaine d’aviation de reconnaissance ( G. R. 1/35). Roman Alfed Marius, soldat au 15e escadron du train des équipages militaires. Roux Firmin, lieutenant. Cinq personnes (un agent technique et 4 ouvriers de la Direction des Constructions et Armes Navales) sont tuées en novembre 1944 lors de travaux de déminage : Artaud Lucien, Canale Marius, Cuerq Roger, Michel Aimé et Ollivieri Ange.
- [95]. AD1W94.